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Tel cas se présente cependant où cette prescription n’est pas observée en toute rigueur ; au cours des années 1885 et 1886, trente-neuf « nouvelles » ont été reçues à l’orphelinat de Neuilly ; une a six ans, six en ont cinq et enfin une seule n’a pas plus de quatre ans et demi ; pour cette dernière, il y avait péril en la demeure maternelle, et l’on n’a pas hésité à interpréter le règlement au lieu de l’appliquer : ici comme ailleurs, plus qu’ailleurs peut-être, le proverbe a raison : la lettre tue et l’esprit vivifie. Les statuts sont péremptoires : « La maison de refuge est instituée pour recevoir les jeunes filles mises en correction par l’autorité judiciaire ; — elle est tenue d’admettre également celles qui seraient mises en correction paternelle par jugement. — La maison admet en outre : 1° des jeunes filles abandonnées par leur famille ; 2° des orphelines ; 3° des enfans nées dans des conditions irrégulières. » C’est cette dernière et triple catégorie composant l’orphelinat que je venais d’étudier dans les différens exercices de la classe, de l’atelier et de la gymnastique ; je demandai à visiter le refuge exclusivement consacré aux jeunes filles qui avaient mérité d’être internées à Saint-Lazare, dans la division de la correction paternelle. — Que l’on n’oublie pas que c’est en visitant les petites détenues de la prison pour femmes que Mlle Coralie Cahen conçut la pensée de fonder la maison de relèvement où nous allons entrer. — Au sourire de la personne qui voulait bien me guider et qui était la présidente même du comité, j’aurais dû m’attendre à quelque surprise. Je traversai un couloir établi en sous-sol, et je pénétrai dans un bâtiment dont je fus étonné de voir toutes les fenêtres et toutes les portes ouvertes : singulière maison de détention, dont nulle clôture n’interdit l’accès ni la sortie. J’ai parcouru des classes vides, des ateliers vides, des dortoirs vides ; une grande salle, qui a dû servir de réfectoire, fait office de préau couvert pour l’orphelinat lorsque le temps est mauvais : cela ressemble à l’annexe d’un pensionnat qui attendrait des élèves ; qu’elles y viennent ! la communauté israélite de Paris saura ne point ménager les sacrifices d’où naîtrait le salut de ses orphelines pauvres. Où donc sont les jeunes détenues ? Il n’y en a pas, il n’y en a plus. L’orphelinat a fermé le refuge ; l’école a tué la prison. Là, je touche du doigt la réalisation du rêve que j’ai formulé si souvent, de voir remplacer les mesures répressives par des mesures préventives et de voir soigner, guérir le mal avant qu’il n’ait atteint le degré où il devient incurable. Il en est de la plante humaine comme des arbres fruitiers que redresse et dirige l’arboriculture. Si l’on veut mettre en espalier un arbre déjà grand, contourné dans sa croissance et de branches assez solides pour résister, on ne réussira pas, les efforts seront vains : on aura beau le