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de leur race, élevaient les mains vers leurs coreligionnaires de Paris. Marchant le long des routes entre l’homme à longue barbe et la femme au teint pâle, ils ont pu chanter la complainte d’Isaac Laquedem :


Juste ciel, que ma ronde
Est pénible pour moi !


L’orphelinat Edmond de Rothschild a donc aujourd’hui un caractère cosmopolite ; il abrite les victimes des persécutions détestables, et fait bien.

Cet orphelinat est une école volontiers close aux influences extérieures. Là on s’empare de l’enfant et on le soustrait à sa famille, à laquelle on se substitue. Ceci est le résultat de l’expérience que j’ai constatée dans toutes les maisons où l’on accueille des enfans de condition misérable, car la morale de la maison paternelle ne ressemble en rien à celle de l’école ; aussi, pour mieux se rendre maître de ces petites cervelles avant qu’elles n’aient été imbues de principes délétères, on prend les élèves très jeunes, dès l’âge de quatre ans, s’il se peut ; nul n’est admis lorsque la dixième année est sonnée. Les orphelins ont leurs vacances scolaires, comme les lycéens, comme les écoliers de l’enseignement municipal, mais ces vacances se passent rue de Lamblardie, avec promenades au bois de Vincennes et ailleurs ; on évite ainsi les contacts douteux. Au là juillet, ils célèbrent la fête nationale, ils promènent leurs drapeaux, ils chantent les chansons patriotiques, ils allument les lampions, mais à huis-clos, dans leurs cours de récréation : de cette façon ils ne rentrent pas ivres, ce qui arriverait indubitablement s’ils étaient sortis en compagnie de leurs parens. Cinquante-sept garçons, ai-je dit, et cependant pas un seul instituteur ; pour toutes les classes, je ne compte que des institutrices, qui, sans exception, ont été élevées dans la maison même. Cela est judicieux, car la femme, par les fonctions auxquelles la nature l’a destinée, est douée de qualités pédagogiques que l’homme, — j’entends le plus intelligent et le meilleur, — ne possédera jamais qu’exceptionnellement. Il suffit de voir une petite fille jouer à la poupée pour en être convaincu. On a essayé des maîtres à l’orphelinat, et l’on y a renoncé pour n’avoir recours qu’à des maîtresses. On s’en trouve bien, du moins me l’a-t-on dit, et je le crois.

Là, ainsi que dans d’autres établissemens analogues, la jeune fille est considérée comme un objet fragile que l’on ne saurait entourer de trop de soins ; c’est pourquoi les orphelines sont gardées jusqu’à ce que l’on soit parvenu à les caser convenablement. Tout