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De nos jours, l’histoire est indiscrète et aime à porter la lumière dans les cachettes les mieux défendues ; elle a découvert et révélé les secrètes blessures faites à l’amour-propre de Villars. Nous ne croyons pas manquer au respect que nous devons à sa mémoire, ni à la reconnaissance que nous inspirent ses services militaires, en racontant jusqu’au bout, et telle qu’elle nous apparaît, l’histoire de sa diplomatie. Le soldat ne perdra rien à ces révélations, et c’est le soldat que nous admirons en lui ; aussi bien est-ce le soldat, non le diplomate, qui a triomphé à Rastadt : de tout temps, les meilleures lettres de créance ont été celles qui sont contresignées par la victoire.

Les succès militaires de Villars ne sont contestés par personne ; Denain fut un véritable coup de foudre, qui renversa les rôles du jour au lendemain : il y a peu d’exemples d’un revirement aussi soudain, et de résultats aussi considérables, suivant une action aussi limitée. La campagne de 1713 fut extrêmement brillante. Les mesures furent si bien prises, le secret si bien gardé, l’exécution si rapide et si vigoureuse, que le prince Eugène, réduit à l’impuissance, vit successivement prendre sous ses yeux, sans pouvoir les secourir, Landau qui fermait l’entrée de la France, Fribourg qui ouvrait celle de l’empire.

C’est pendant le siège de Landau que les premières ouvertures de paix furent faites à Villars. Laissant le maréchal de Bezons pousser les opérations d’attaque, il tenait la campagne, surveillant le cours du Rhin jusqu’en face de Mannheim, pressant la rentrée des contributions qui faisaient vivre l’armée. Villars avait la main lourde et la dent dure ; l’électeur palatin, dont les états supportaient presque exclusivement cette charge pesante, commençait à trouver qu’il payait un peu cher la satisfaction platonique d’aider la maison d’Autriche à recouvrer la couronne d’Espagne. Il chercha à s’aboucher avec Villars ; les occasions étaient nombreuses : le service des contributions mettait journellement en rapport l’intendance française avec les agens de sa propre administration. L’un d’eux, un certain Beckers, fut chargé de sonder l’intendant. Le Peletier de La Houssaye et d’arriver par lui au maréchal. Villars encouragea ces premières ouvertures ; des historiens allemands disent même qu’il les provoqua. Les documens que nous possédons ne justifient pas cette assertion ; fût-elle fondée, qu’elle serait tout à l’honneur de Villars et de sa clairvoyance. Quoiqu’il envisageât sans inquiétude la continuation de la guerre, il ne pouvait se faire illusion sur l’étendue des avantages qu’elle pourrait procurer à la France. Quels que fussent ses succès, la base du futur traité ne serait pas sensiblement modifiée ; ce serait toujours la base du traité de Ryswick