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invitait son allié à se féliciter avec lui des avantages qu’en devait retirer la cause commune[1].

A ne faire qu’un calcul d’arithmétique, on était loin de compte, car c’étaient 12 millions de livres à payer en deux termes que Frédéric avait demandés, et on lui en octroyait à peine la moitié répartie pour une année en douze échéances. Mais cette offre, dont l’exiguïté était offensante et presque dérisoire, eut de plus le malheur d’arriver juste au moment où, tout étant convenu avec le roi d’Angleterre, il ne restait plus qu’à envoyer au ministre prussien, à Hanovre, les pouvoirs pour signer la convention dont les articles étaient arrêtés ; aussi Frédéric, se voyant désormais sûr de son fait et heureux de pouvoir repousser avec dédain une aumône qu’il était humilié d’avoir mendiée, crut-il l’occasion bonne pour l’annoncer à Louis XV, en lui répondant que tout était fini entre eux. Dans une lettre qu’il prépara lui-même, il fit cette annonce en des termes dont la hauteur faisait de la rupture de l’alliance presque une déclaration d’hostilité. Après quelques complimens du bout des lèvres sur les victoires de Flandre : — « Je suis obligé d’informer Votre Majesté, disait-il, que les Anglais m’ont fait des ouvertures de paix, dans lesquelles il n’y a certainement aucune condition avantageuse pour moi, et qui se réduisent simplement au traité de Breslau. Mais Votre Majesté sait trop bien elle-même les raisons que je lui ai si souvent alléguées, auxquelles Elle n’a pas jugé à propos de remédier, qui m’obligent de les accepter. J’en avertis Votre Majesté d’avance, je crois qu’Elle a dû s’y attendre de longtemps, et si cela arrive, j’en atteste le ciel qu’il n’y aura pas de ma faute. Il a bien paru jusqu’à présent qu’Elle n’a pas senti l’intérêt de ses alliés en Allemagne ; aussi voit-Elle comme Elle les a perdus les uns après les autres. Je suis mortifié de ce qui va arriver, mais j’en ai l’âme bien nette, car, après tout, mon premier devoir est de veiller à la conservation de mon état. Je sens bien que Votre Majesté trouvera ces vérités dures, mais il faut les lui dire, et il faut que les princes, tels grands qu’ils soient, s’accoutument à la vérité ; il y a longtemps que je ne l’ai point déguisée, et je dois croire que les ministres de Votre Majesté l’ont veloutée de façon qu’Elle ne l’a pas vue seule[2]. »

Le secrétaire qui reçut cette pièce, avec l’ordre de la transcrire et de l’expédier, en resta si troublé, qu’il ne put se défendre de présenter timidement quelques observations et, au lieu de se mettre à l’œuvre, il crut devoir en toute hâte en envoyer la copie à

  1. D’Argenson à Valori, 25 juillet, 7, 30 août 1745. (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.)
  2. Frédéric à Louis XV, 14 août 1745. (Pol. Corr., t. IV, p. 262.)