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faiblement. Bientôt, aiguillonné par les habiles excitations d’Eugène, mis en verve par ses allusions personnelles, il se mit à abonder dans son sens ; et peu à peu, emporté par sa nature et ses ressentimens, il se répandit en amères récriminations contre Max-Emmanuel, s’oublia jusqu’à dire que l’électeur ne se souciait pas de ses états et s’inquiétait peu de déchaîner sur l’Europe les maux de la guerre, pourvu qu’il vécût à Compiègne des libéralités du roi, avec ses parasites, et ses maîtresses. Il se plaignit avec non moins de véhémence et d’à-propos de la malveillance de Torcy, des manœuvres de ses ennemis, du peu de crédit qu’il avait dans une cour jalouse et envieuse de ses succès. Plus il s’enferrait, plus Eugène lui tendait le fer ; et quand son impitoyable adversaire l’eut ainsi amené à briser l’un après l’autre tous ses moyens de défense, il se leva et lui déclara froidement qu’il partait pour Vienne. Villars, qui n’avait plus d’argumens à son service, fut réduit à faire un pressant appel aux sentimens personnels d’Eugène ; il le pria, au nom de leur commune amitié, d’attendre au moins le retour du courrier qu’il allait expédier à Versailles avec ses protestations et ses conseils. Eugène affecta d’être inflexible, et quitta le maréchal en lui disant que Vienne n’était pas si loin de Paris qu’une lettre ne pût le rejoindre, si la cour de France se décidait à accepter son ultimatum.

Villars ne dormit pas de la nuit ; agité, inquiet, mécontent, il fit venir de grand matin l’officieux Hundheïm, lui répéta toutes les imprudentes récriminations de la veille, lui fut les véhémentes dépêches qu’il préparait pour Torcy, et le pria de joindre ses efforts aux siens pour retenir le prince de Savoie. Eugène se laissa d’autant plus facilement convaincre qu’il ne se souciait nullement de partir ; il lui suffisait d’avoir bien établi la supériorité de sa situation et l’ascendant de son caractère. Il fit dire à Villars qu’il consentait, « par pure considération pour sa personne, » à différer de huit jours son départ[1].

Le courrier qui partit pour Versailles emporta un volume de lettres, datées des 14, 16, 18 décembre, et qui peignent l’état d’esprit dans lequel cette scène laissa Villars. Avec le roi, le respect et la crainte contenaient sa verve ; il constata tristement que « Sa Majesté rétractait entièrement la liberté qu’elle lui avait donnée ; » reconnut « qu’il s’était trompé lui-même en croyant la gloire de Sa Majesté pleinement satisfaite en forçant l’empire à un entier rétablissement de l’électeur de Bavière ; » s’efforça de démontrer que la paix était certaine aux trois conditions qu’il avait déjà

  1. Extractus Protocolli, 13 et 14 décembre. (Archives I. R. de Vienne.)