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Tels sont les sacrifices suprêmes que Louis XIV est disposé à faire au maintien de la paix ; mais, tout en les énumérant à Villars, le roi espère que l’habileté du négociateur en diminuera le nombre ; il lui défend même de les faire connaître à Eugène avant que la question des trois points essentiels n’ait été réglée. Pour cette partie de la négociation, la plus délicate, la plus scabreuse, il se méfie du tempérament de Villars ; aussi est-ce Contades, dont il vient d’apprécier les formes gracieuses, qui en sera chargé. Il se rendra à Stuttgart et fera connaître successivement à Eugène les conditions du roi ; s’il accepte la première, il lui exposera la seconde, et ainsi de suite. S’il refuse l’une ou l’autre des conditions, Contades « n’entrera pas plus avant en matière et reviendra. » Il ne doit s’ouvrir, dit le roi, sur aucune des facilités que j’apporterai à l’égard des autres articles, car il est d’une extrême conséquence pour mon service qu’on ne puisse pénétrer la permission que je vous donne, à moins qu’elle ne détermine la paix. » Ces instructions sont développées avec une grande précision dans deux dépêches différentes ; Louis XIV y joint, par excès de précaution, un nouveau modèle de traité où toutes ses concessions sont traduites dans le style le plus étudié ; enfin, le 14 au soir, il remet lui-même cet important paquet à Contades, en y ajoutant encore, en présence de Torcy, de longues et minutieuses recommandations verbales.

« Pleinement instruit, » Contades partit le lendemain et arriva à Strasbourg le 21. Le message qu’il remit à Villars ne satisfit qu’incomplètement l’irascible maréchal ; il s’attendait à un désistement complet, l’avait presque promis au prince Eugène, et s’alarmait des réserves du roi. La procédure prescrite par Louis XIV le mettait, en outre, dans un cruel embarras : il avait donné à Eugène sa parole d’honneur de lui rendre une réponse définitive ; il savait, d’ailleurs, son adversaire assez avisé pour ne pas se prêter à cette négociation successive et pour refuser de s’engager tant qu’il n’aurait pas été informé, dans leur ensemble, des conditions suprêmes du roi. Acculé à de redoutables alternatives, Villars montra plus de décision et d’initiative qu’il n’en avait laissé voir jusque-là. Il prit sur lui d’autoriser Contades à transgresser, s’il le fallait, les ordres du roi et à modifier au besoin la procédure imposée par lui, si par cette modification il pouvait assurer la conclusion de la paix ; pour le reste, il s’en remit à la dextérité de Contades. Nul ne saurait le blâmer : au point où en étaient les choses, les questions de procédure n’avaient plus la moindre importance. Dans les circonstances décisives et suprêmes, c’est aux plénipotentiaires vraiment dignes de ce nom à savoir écarter les difficultés artificielles et, dégageant leurs souverains, prendre eux-mêmes les graves responsabilités qui décident du sort des nations.