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desseins, venant du bien et y tendant. Et ici Rousseau n’était point en opposition contre son siècle. Il avait trouvé dans sa logique très particulière le moyen d’être un misanthrope optimiste, croyant l’homme bon en soi et devenu mauvais par la manière dont il s’était aménagé sur la terre, aimant l’homme et détestant les organisations humaines, jugeant les hommes bons, pervertis, et corrigibles, et, tout en détestant les sociétés, en rêvant une où les hommes non pas arriveraient à la perfection, mais y reviendraient, ce qui est, par un détour, croire à la perfectibilité plus que personne.

C’est toute cette pensée du XVIIIe siècle, chez les sots ou les vicieux simple impatience de tous les jougs jointe à l’incapacité de distinguer les bons des mauvais, chez les habiles désir de remplacer les anciennes autorités par celle des « lumières, » c’est-à-dire par la leur, chez les plus grands et les plus purs rêve plus ou moins confus d’un renouvellement de l’humanité par une plus grande confiance en ses bons instincts, qui vivait dans l’esprit de Mme de Staël sous la forme la plus élevée, la plus délicate et distinguée qu’elle pût prendre, unie aux sentimens les plus nobles qu’elle pût suggérer ou soutenir.

Ses ouvrages de jeunesse sont très instructifs à cet égard, et, quoique assez faibles, méritent bien d’être médités par qui veut la bien comprendre. L’avisé Sainte-Beuve n’y a pas manqué. Son Influence des passions sur le bonheur n’est point d’un moraliste très profond, mais c’est un livre à la fois très original, d’un admirable accent personnel, et un livre où respire ce qu’il y a dans l’âme du XVIIIe siècle de plus pur et de plus tendre. C’est du Vauvenargues, et quelque chose de plus. On y sent ce besoin de relever la nature humaine, cette confiance en ce qu’elle a de bon et de précieux, ce « goût des passions nobles, » qui fait à Vauvenargues une place à part parmi les moralistes, et on y surprend aussi une passion plus attendrie, une ardeur de pitié qui va plus loin qu’à consoler et caresser l’auteur lui-même, mais, bien sincèrement, s’étend et se répand sur l’humanité entière. Point de système très arrêté, mais un sursum corda, un cri de compassion, d’encouragement et d’espérance jeté aux peuples après l’épreuve révolutionnaire. Le XVIIIe siècle en ce qu’il a de meilleur, le XVIIIe siècle de « l’humanité, » de la « sensibilité, » du « progrès » et des « lumières » semble dire aux hommes, avec sa naïveté, qui ne laisse pas d’être touchante, et par une voix plus pure et plus douce que celles qu’il avait jamais fait entendre : « Je suis toujours là ! »

En remontant plus haut, les Lettres sur Jean-Jacques Rousseau qu’il faut lire de très près, définissent déjà fort exactement la pensée de