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qui revient à dire qu’ils sont exacts plutôt que vrais, c’est de quoi se composent ces romans, où, tout compte fait, le seul personnage intéressant, mais infiniment celui-là, est l’auteur. La composition en est habile plutôt que forte. Mme de Staël ne sait point tirer des héros eux-mêmes, du choc de leurs passions naturellement en jeu et en acte, les péripéties de ses aventures. Ce qu’elle sait très bien, c’est combiner des incidens vraisemblables, les faire concourir à propos pour nouer, dénouer et renouer les fils délicats d’une trame légère, mais suffisamment solide et résistante. L’écheveau s’embrouille et se débrouille aisément et rapidement sous ces mains adroites et fines, et l’on prend plaisir à suivre sans fatigue cet élégant et un peu menu travail de femme. Toutes ces observations se ramènent à dire que tout ce qui est vie morale, puissante, à excepter celle de l’auteur, manque à ces œuvres, et que toutes les autres qualités de l’excellent romancier s’y trouvent. Tout à l’heure nous croyions voir que Mme de Staël, analysant en critique les littératures grecque, latine et française, n’avait pas complètement senti le grand art, et maintenant nous en venons à soupçonner que c’est peut-être parce que la faculté maîtresse du grand artiste lui manquait.


III

Et voilà que les choses semblent changer. Ce sentiment artistique, que Mme de Staël parait ne pas avoir, elle va le trouver. L’originalité de la pensée littéraire, philosophique, politique, elle va l’acquérir et la montrer. L’élève, indépendant déjà, mais enfin l’élève du XVIIIe siècle français, va sinon disparaître, du moins reculer au second plan ; une Staël nouvelle va paraître.

Ce n’est point que les choses aient changé en effet ; il n’y a point en volte-face, mais renouvellement et enrichissement de cette forte nature par la mise en liberté et en acte de certains germes qui y sommeillaient à demi. Deux grandes causes ont renouvelé l’esprit de Mme de Staël : l’empire et l’Allemagne, les épreuves qu’elle a eues à souffrir de l’un et la découverte qu’elle a faite de l’autre. Elle doit à Napoléon Ier d’avoir su d’une manière plus sûre et plus nette ce qu’elle était. Rien de tel pour nous définir à nous-mêmes que nos répugnances. Comme nous tendons à nous absorber dans ce que nous aimons, nous prenons conscience de nous-mêmes dans ce que nous ne pouvons pas souffrir. Mme de Staël a pris tant de plaisir à être différente de Napoléon, qu’elle a comme confirmé et fortifié sa personnalité dans cette haine. Tout son caractère et toutes ses idées générales ont trouvé un point d’appui dans cette