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Voltaire, elle croyait, à cette époque, que le théâtre doit se proposer un dessein moralisateur : « Un écrivain ne mérite de gloire véritable que lorsqu’il fait servir l’émotion à quelques grandes vérités morales. » Déjà, dans Corinne, elle abandonne cette idée, qui tenait à sa conception vague de l’art antique et étroit de l’art moderne : « Alfieri a voulu marcher par la littérature à un but politique,.. ce but était noble ; mais n’importe, rien ne dénature les ouvrages d’imagination comme d’en avoir un. » Enfin, dans l’Allemagne, elle donne la véritable règle en cette affaire, la règle ancienne et moderne, et qui se tire aussi bien de la Poétique d’Aristote que du théâtre de Corneille : « Le but est d’émouvoir l’âme en l’ennoblissant. » — Tout son livre de la Littérature est plein de l’idée de la supériorité du XVIIIe siècle sur le XVIIe. Depuis qu’elle a senti, près d’elle les grandes âmes religieuses, compris leur accent et appris où sont les sources dit vrai lyrisme, elle ramène ses yeux vers nous et s’échappe à dire : « Mais nos meilleurs poètes lyriques, en France, ce sont peut-être nos grands prosateurs, Bossuet, Pascal, Fénelon… » — Elle avait dit sur tous les tons qu’au moins au point de vue de la littérature philosophique, les Français du XVIIIe siècle sont bien en progrès sur leurs prédécesseurs. Même à cet égard, elle n’est plus si sûre de son fait, et la théorie de la perfectibilité est bien oubliée. Les philosophes du XVIIIe siècle restent grands, ce sont des « combattans ; » mais ceux du XVIIe sont des « solitaires, » et leurs ouvrages sont plus philosophiques ; « car la philosophie consiste surtout dans la connaissance de notre être intellectuel, » et « les philosophes du XVIIe siècle, par cela seul qu’ils étaient religieux, en savaient plus sur le fond du cœur. »

Il ne faudrait point trop presser Mme de Staël et vouloir qu’elle répudie entièrement les opinions de sa jeunesse ; Elle garde bien un fond de tendresse pour le temps dont elle est ; elle nomme encore avec vénération Montesquieu et Rousseau ; mais enfin le conseil que semble donner l’Allemagne presque à chaque page, c’est d’oublier la Littérature. — Mais encore à quelles conclusions pratiques arrivons-nous ? — D’abord ne plus imiter. Elle ne tarit point là-dessus. Dans Corinne, dans l’Allemagne, c’est comme un refrain. — Mais en quoi le nouveau consistera-t-il ? — Mme de Staël est désormais si éloignée de la Littérature que la voilà, après dix années, qui se rencontre avec son ancien antagoniste, avec Chateaubriand. C’est la tradition de la Renaissance qui est une fausse route. Remarquez-vous que la littérature française n’est point une littérature populaire ? Si elle ne l’est pas, c’est que nos littérateurs ont formé comme un monde à part, factice, inintelligible à la foule. Dans un pays chrétien, ils ont été les disciples d’artistes païens. « La littérature des anciens est chez les modernes une littérature : transplantée, la littérature romantique ou chevaleresque est chez nous indigène, et c’est notre