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ne se reconnaît déjà plus. Alors son évolution se précipite. Au-dessous de Beethoven, Mendelssohn, Schumann ont été des musiciens de génie. Au théâtre, Weber, Rossini, Meyerbeer, Wagner, pour nommer seulement des morts ; après eux, bien des vivans, que nous étudierons aussi, ont ouvert et suivi de nouveaux chemins. Il est donc permis, à propos du plus jeune des arts, de parler d’anciens et de modernes, et d’essayer entre eux, non pas une querelle oiseuse, mais une comparaison peut-être féconde. C’est ce que nous voudrions tenter ici.

Nous ne prétendons pas, à peine est-il besoin de le dire, entreprendre une revue complète de l’art musical, ancien et moderne. Un tel programme rappellerait trop ce titre : Dieu, l’Homme et le Monde, qu’un écrivain trop synthétique avait donné à une brochure de vingt pages. Il suffira d’examiner comment trois sentimens de l’âme humaine, les plus intéressans peut-être au point de vue de l’expression musicale : le sentiment religieux, le sentiment de la nature et le sentiment de l’amour, ont été rendus par des maîtres anciens et modernes, comment la musique, en se modifiant, a suivi les modifications de ces trois sentimens toujours durables, mais toujours changeans.

On comprend qu’au spectacle du monde physique, intellectuel et moral les philosophes aient conçu l’idée de l’évolution, et qu’ils aient dit : le changement est la loi. La nature extérieure, l’esprit et le cœur humain sont dans un perpétuel devenir ; hommes et choses semblent entraînés par un mouvement, par une tendance incessante. Toutes les grandes voies de l’humanité sont faites d’étapes successives et toujours renouvelées ; semées, comme les voies romaines, de pierres où les passans se reposent avant de repartir. Il est des passans qui ne reprennent pas leur chemin, qui tombent pour ne plus se relever. Les civilisations, les religions, les arts peuvent mourir ; mais la civilisation, la religion et l’art ne meurent jamais. Leurs formes passagères s’usent, comme les sandales d’un éternel voyageur ; le voyageur marche toujours. Il sait que la course est longue, mais qu’un jour peut-être il touchera la terre promise.

Le phénomène de l’évolution est aussi frappant dans l’histoire de l’art que dans celle de la science ; les artistes comme les savans soulèvent peu à peu le voile d’Isis. Mais le progrès artistique et le progrès scientifique ne s’accomplissent pas de même. Si l’homme aime le beau et le vrai d’un pareil amour, s’il les poursuit d’une recherche aussi passionnée, il n’a sur l’un et l’autre ni une prise également sûre, ni un domaine également durable. « Il ne faut pas vingt années accomplies, disait La Bruyère, pour voir changer les hommes d’opinions sur les choses les plus sérieuses, comme sur