Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/406

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
II

L’idée religieuse occupe dans l’esprit de l’homme, et, par suite, dans ses manifestations artistiques, une des premières places, la première peut-être par ordre d’ancienneté. L’art est presque toujours religieux à son origine ; il le demeure parfois dans sa maturité, et ce serait assez d’un temple et d’une cathédrale, du marbre d’une déesse et d’une image de madone pour témoigner du génie humain. Les relations de l’homme avec Dieu, diversement comprises par les religions qui passent, mais toujours nécessaires à notre religiosité qui demeure, sont pour l’artiste un thème éternellement fécond. Les moins croyans eux-mêmes gardent un certain goût du divin. L’art est de nature plus religieuse que la science ; on croit et l’on aime par sentiment plus que par raison. Dieu garde ou reprend les âmes moins par la vérité que par la beauté, et ce n’est pas un philosophe, mais un artiste, qui laissait au sommet d’une montagne ce témoignage anonyme d’enthousiasme et de foi : « Grand Dieu ! que les œuvres sont belles ! »

La musique, autant que les autres arts, devait chercher à rendre le sentiment religieux ; mieux que tout autre, l’architecture peut-être exceptée, elle y pouvait réussir. L’inépuisable variété dans la combinaison des sons comme dans celle des lignes, et l’élément mathématique de la musique ou de l’architecture éveillent aisément en nous les pensées de métaphysique religieuse. Dieu infini nous sera plus sensible sous les voûtes de Notre-Dame ou dans un chœur de Palestrina que sous les traits encore trop humains du vieillard de la Sixtine. L’architecture et la musique surtout, le plus immatériel des arts, échappent en matière religieuse à l’anthropomorphisme dont la peinture et la sculpture ne peuvent se défendre : anthropomorphisme que les grands artistes savent élever jusqu’au sublime, mais dont les dieux païens, très matériels, très voisins de l’humanité, s’accommodaient mieux que notre Dieu à nous. Satisfaite de ses dogmes concrets, étrangère à tout mysticisme, l’âme antique ignora les abstractions et les rêves familiers à l’âme chrétienne. De là, chez les anciens, prédominance des arts plastiques, et prédominance dans ces arts mêmes de beautés assorties au caractère de la race : la proportion, la mesure. Le christianisme a déplacé l’équilibre humain, et la musique devait singulièrement s’accorder avec lui. Seule, elle peut remplir les espaces infinis qu’une lumière nouvelle a éclairés dans notre âme ; exprimer dans