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son langage, à la fois le plus vague et le plus puissant de tous, des aspirations indéterminées, qui peut-être sans son aide s’ignoreraient toujours elles-mêmes.

Merveilleusement appropriée à l’idéalisme chrétien, la musique ne l’est pas moins à la gravité, à la tristesse des croyances nouvelles. Aucun art ne sait être aussi touchant que la musique, et le christianisme est touchant et douloureux. Il a répudié les doctrines de la volupté, de la vie à outrance, pour celles de la souffrance et de la mort. Heureux ceux qui pleurent, dit une de ses plus étranges maximes, et son dogme fondamental, son plus étonnant mystère est le martyre d’un Dieu ! Toute œuvre de musique sacrée porte un titre sombre : c’est le Stabat Mater, le Requiem, c’est la Messe elle-même, souvenir d’un auguste sacrifice. Voilà les offices chrétiens, et la musique aime toutes ces plaintes. Palestrina, puis les compositeurs italiens du XVIIe siècle ; après eux, Pergolèse avec son Stabat, Haydn avec les Sept Paroles, Mozart avec le Requiem, ont été de grands maîtres religieux. De nos jours, le Stabat de Rossini, le Requiem de Verdi, sont des œuvres de premier ordre. En dehors de la liturgie, dans la traduction ou l’imitation des livres saints, la musique a pris des sujets d’oratorios ou de drames sacrés : la Passion de Bach, le Messie de Haendel, le Paulus de Mendelssohn ou son Élie ; plus près de nous, l’Enfance du Christ de Berlioz ; plus près, la Marie-Magdeleine de M. Massenet. Enfin, l’idée religieuse a donné au théâtre quelques-unes de ses plus glorieuses scènes : la Juive, Robert le Diable, les Huguenots, le Prophète, Parsifal, en rendront témoignage.

Si l’on pouvait d’un trait caractériser l’évolution de la musique religieuse, il faudrait dire que cette évolution a été surtout dramatique. L’art musical abandonne de plus en plus l’église pour le théâtre ; parfois même (on l’a dit à propos de Rossini et de Verdi), il transporte le théâtre à l’église. Mérite-t-il pour cela le reproche d’impiété et de sacrilège ? Faut-il s’indigner, s’étonner même si la musique cherche une forme saisissante pour rendre le sentiment, parfois la passion religieuse, ou pour traduire des scènes sacrées ? Est-il rien de plus dramatique que notre destinée, telle que le christianisme l’a faite, rien de plus dramatique que certains récits des livres saints ? Quel respect malentendu commande qu’on étouffe sous des formules hiératiques l’office des morts ou la Passion de Jésus ? Faut-il couper les ailes à la prière ; et l’amour, parce qu’il est divin, n’est-il plus l’amour ? Le temps des symboles est passé. Le Seigneur a depuis longtemps rejeté la fumée des anciens sacrifices, et c’est de son sang que le Christ a rougi la terre. S’il nous appelle à lui, nous qui pleurons, nous pouvons à ses pieds verser