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ses dissonances, ses longues tenues de voix, est pleine d’onction et de mélancolie. Elle inspire pour les souffrances sacrées qu’elle chante une compassion profonde, mais respectueuse ; elle nous tient à quelque distance de la croix. Le verset désolé ; Vidit suum dulcem natum, le plus beau de tous, s’achève en un soupir d’agonie, et dans la prière finale Quando corpus merietur, le rayon des grandes espérances demeure voilé par la tristesse de la Passion. L’œuvre de Pergolèse a la beauté d’une Pietà de marbre ; sous la forme de moins en moins archaïque jaillit l’expression, l’éloquence moderne. Le temps des primitifs et des précurseurs est passé, Mozart peut venir.


Dans Virgile parfois, Dieu tout près d’être un ange,
Le vers porte à sa cime une lueur étrange.


Ce qu’il disait de Virgile, Hugo l’aurait pu dire de Mozart. Le premier des musiciens, Mozart eut de ces étranges lueurs, et je ne sais quelle divination des siècles futurs. Le Requiem est la dernière cime, et la plus haute peut-être, d’où ses yeux clairs et profonds ont vu dans l’avenir. Mozart, âme de joie plutôt que de tristesse, voulut, avant de mourir, compatir aux souffrances de la terre, et il écrivit comme un testament son admirable Requiem. Venez à lui désormais, vous qui souffrez, et ne cherchez plus ni Bach ni Haendel pour prier et gémir. Ces vieux maîtres ont la parole trop austère pour consoler, la main trop rude pour essuyer des larmes. Aux jours amers, l’asile n’est pas dans la Passion ou dans le Messie, mais dans le Requiem, dans ces beautés plus jeunes que les autres à peine de quelques années, et déjà si parfaites qu’elles sont encore et demeureront peut-être à jamais contemporaines de toutes les douleurs.

Requiem, le repos ! La dernière parole qu’aient prononcée les lèvres de Mozart, la dernière grâce qu’il ait demandée à Dieu, pour lui-même qui se sentait mourir, et pour tous ceux qui vivraient après lui ! Il avait compris, le doux génie, que toute violence passe, que toute passion lasse, et que l’idéale félicité du cœur et de l’esprit est dans le repos. Au bas de sa messe des morts, il eût pu mettre l’adieu de Jésus : « Je vous laisse ma paix. » N’est-il pas vrai que, des grands artistes, les plus grands ne sont pas ceux qui troublent, mais ceux qui apaisent et répandent autour d’eux le calme bienfait des beautés sereines ? Que l’homme se plaise une heure, un siècle, aux œuvres obscures et tourmentées, qu’il y cherche l’aliment de curiosités passagères, d’inquiétudes factices, il finira par revenir aux œuvres claires et calmes, unique remède des peines véritables et des éternels soucis. Mozart, Raphaël