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eu des Juifs de génie, à commencer par le roi David, qui savait chanter et danser. La foi hébraïque, la plus pure de l’antiquité, qui ne laissa qu’à la foi chrétienne, sa fille, l’empire des âmes privilégiées, cette foi semble même avoir donné aux œuvres de ses enfans un peu de sa force et de sa grandeur. Autant que la Pâque chez Éléazar, le cinquième acte des Huguenots ou le cantique de Jean de Leyde, la scène du supplice de saint Etienne dans Paulus, assurent la gloire des musiciens d’Israël.

Cette scène, belle entre toutes, est à la fois dramatique et lyrique ; le chant traditionnel du récitant n’en ralentit pas l’élan. « Le voilà, crient les Juifs, celui qui ne cesse de blasphémer Moïse et Dieu, » et les imprécations éclatent. Admirable chœur, où des accords, des harmonies nouvelles, une orchestration colorée, rajeunissent les formes d’autrefois, où des gammes d’instrumens à cordes dissimulent jusqu’aux angles jadis un peu durs des rythmes trop carrés. Etienne, le front radieux, répond d’abord aux injures par une tendre homélie. Il dit l’amour du Seigneur et l’ingratitude d’Israël, les miracles méconnus, les prophètes méprisés. Mais peu à peu sa voix s’indigne : haletant, haché de grands coups d’orchestre, le récitatif se change en foudroyante apostrophe. Le feu des saintes colères brûle les lèvres du confesseur comme un jour il brûlera celles du prophète anabaptiste. La foule furieuse rugit, quand soudain de ce concert de haine une voix de femme s’élève et pleure les crimes de Sion. « Jérusalem, gémit-elle, tu lapides ceux que Dieu t’envoie, » et rien ne peut rendre la douleur de cette cantilène, larme de pénitence tombée sur une terre criminelle et capable de la purifier tout entière. Voilà les accens qu’on ne connaissait pas, les mélodies que les ancêtres, même les plus grands, n’avaient jamais chantées. Mais les descendans les recueilleront, et un jour l’auteur de Gallia, sur les ruines, hélas ! d’une autre Jérusalem, retrouvera la même pitié pour de pareilles fautes et de pareils malheurs.

On le voit, nous n’en sommes plus à la Passion de Bach, et le supplice du disciple dépasse en émotion tragique le supplice du maure. Bach n’eût jamais trouvé ce chœur des fidèles priant sur le cadavre de leur frère, cette action de grâces après le martyre, cet adieu si suave à celui qui vient de descendre a dans les étranges beautés de la mort des justes. » Fromentin pourrait écouter Mendelssohn comme il regardait Rubens. L’oreille et le cœur ici goûtent les mêmes enchantemens. Toutes les nuances sont comprises et rendues, et, devant une telle page, on serait tenté de dire à l’art religieux : « Tu n’iras pas plus loin ! »

Mais l’art, quand il ne peut faire mieux, fait autrement. Les