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nobles cantiques ; elle est maintenant un des ressorts de l’âme, elle compte parmi les passions de l’humanité.

Ainsi l’ont comprise et traitée, avant ou depuis Berlioz, les maîtres de la scène française : Halévy et surtout Meyerbeer. Les grandes beautés de la Juive sont religieuses. La Pâque notamment est une évocation du judaïsme, l’expression étonnamment fidèle, en langage musical, de ce monothéisme rigide. Le chœur du repas, la bénédiction d’Éléazar, tout cela n’est pas chrétien. Les accens de la foi nouvelle sont moins craintifs et plus tendres : on ne parle plus à Jésus comme à Jéhovah !

Meyerbeer a cependant traité même des sujets chrétiens avec cette austérité, cette grandeur un peu farouche, signes de sa croyance et de sa race. Bien des pages maîtresses de Meyerbeer sont religieuses : le dénoûment de Robert le Diable, celui des Hugenots, le troisième acte du Prophète, autant de sommets que domine la croix. Le Faust même de Berlioz, écoutant les cloches de Pâques, est moins pathétique que Robert, au seuil de la cathédrale de Palerme. Le théâtre, la vision réelle des personnages ajoute peut-être à l’effet ; mais surtout le génie plus puissant fait l’impression plus forte. On ne saurait trop parler du trio final, mais on ne parle pas assez des scènes précédentes : du chœur des moines et surtout du dialogue entre Robert et Bertram, entre ces deux âmes que jette en des angoisses si cruelles et si différentes le cantique pieux. Sur Robert, l’action divine est plus puissante encore que sur Faust. C’est Dieu lui-même, comme chante le pauvre irrésolu, Dieu lui-même et Dieu seul, aussi sensible, aussi puissant dans ces appels sublimes que dans le buisson de l’Horeb ou sur la route de Damas. Le voile du sanctuaire le dérobe seul ici ; sa voix retentit, toujours plus prochaine, toujours plus impérieuse, et quand Robert s’est débattu longtemps sous l’étreinte divine, son cri suprême, éperdu, qu’il faut lancer avec une sorte d’épouvante, ce cri suivi d’un autre cri de Bertram écrasé, annonce comme un éclat de tonnerre la victoire du ciel.

Des chefs-d’œuvre de Meyerbeer, Dieu n’est jamais absent. Le Prophète est le serviteur du Dieu des armées. C’est pour Dieu que le guerrier biblique tire son glaive, à lui qu’il chante un hymne plus héroïque cent fois que l’hymne de Judas Macchabée.

Parlerons-nous enfin du cinquième acte des Huguenots, qui va, d’une prière au fond d’un temple encore épargné, jusqu’à l’exaltation de la mort pour la foi. Dieu encore ! Dieu toujours I A la voix des enfans, des femmes, à la voix de Marcel jetant sur leur psalmodie ses héroïques appels, toute passion humaine se transfigure et se divinise. Quand les égorgeurs ont forcé l’église, quand deux