Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/425

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vaguement sensuel. Nous l’aimons pour l’histoire de la Samaritaine, de Marie de Magdala et de la femme adultère. Nous nous imaginons presque que c’est le premier livre où il y ait eu de la bonté, de la pitié… »

Ces nuances de la pensée moderne, M. Massenet les a merveilleusement exprimées. Plus que tout autre, il était fait pour sentir le charme et le danger aussi de l’épisode évangélique, sujet délicat, dont une note trop vive, trop passionnée, profanerait les chastes douceurs ; fleur d’amour, que trop d’amour pourrait flétrir. Le jeune maître s’est gardé de tous les périls et de lui-même ; il a su fermer l’oreille aux voix trop caressantes, aux chants des sirènes qui ne se taisent jamais dans son âme harmonieuse. Avec un tact parfait, une convenance irréprochable, il a dégagé du cœur de Madeleine le sentiment innomé, presque ineffable, qui l’emplissait ; piété féminine, attendrie, avivée par la vue même de Dieu, de ce Dieu qui voulut être sur terre le plus beau des enfans des hommes.

Il faudrait le style de M. Renan pour louer l’œuvre de M. Massenet. Il n’y a même pas dans la Vie de Jésus un paysage aussi ravissant que les premières pages de Marie-Magdeleine : un soir, aux portes de Magdala. Les femmes, descendent à la fontaine ; jeunes gens, prêtres et soldats, vont et viennent sur le chemin. Les chameliers passent dans le lointain et les ombres s’allongent sur le sable. « C’est l’heure du repas, l’heure délicieuse ! » Une molle langueur flotte sur cette scène. Sauf un appel étrange qui se détache avec mélancolie, l’ensemble est noyé dans une tranquille mélopée, comme les horizons d’Orient dans les clartés crépusculaires. On dirait qu’une poussière d’or tamise dans l’air la lumière et les sons ; les voix sont étouffées, et les bruits de la campagne se perdent en résonances discrètes. À cette heure mystérieuse, on s’entretient de Jésus, du beau Nazaréen ; mais ce n’est pas lui qui s’avance, c’est son amie, c’est Madeleine. Elle vient, la belle repentante, et la ritournelle qui l’annonce, le récit timide dont chaque note hésite, tout cela trahit bien l’humble pénitence d’une femme. Ces quelques lignes sont très expressives ; elles disent avec une délicate pitié la honte et la lassitude d’une pauvre âme blessée. Mais de sa misère Madeleine ne saurait plus séparer l’image du Maître qui l’a consolée. Écoutez-la parler de lui ! Les mots tremblent sur ses lèvres. Pour elle seule, dans le secret de sa mémoire, elle évoque l’apparition adorée. Deux fois elle appelle Jésus à son secours, au secours de sa détresse et de son repentir, et deux fois une flamme d’amour s’allume au sommet de son cantique. M. Massenet a trouvé là un beau cri de passion.. Il le fallait. A tous, même aux écrivains sacrés,