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sont tout à l’avantage de l’auteur de Walden. Burroughs a de moins le prestige d’une vie exceptionnelle, montée, commentée par des biographes tels que Sanborn et Channing. Il n’est pas encore classé au rang des ermites, des stoïques et des prophètes ; nous ne le connaissons que par de nombreux petits livres : Fresh fields, Signs and Seasons, Winter Sunshine, etc., d’un aspect frais et verdoyant qui d’avance trahit leur contenu. Il est évident que la joie de vivre est emprisonnée là-dedans avec les pluies d’été, les paysages d’hiver, les rayons de soleil, les brises marines, le parfum des pins, le murmure des sources, le bourdonnement des abeilles, la nature enfin observée par un regard sûr de savant et d’artiste, idéalisée aussi par cette vision du poète qui considère tout subjectivement et, comme on l’a dit avec justesse, porte en lui les merveilles, qu’il découvre au dehors. Il y a une part d’allégorie auprès de descriptions si minutieusement vraies qu’elles feraient croire que leur auteur est de ces privilégiés dont il parle, lesquels semblent avoir des yeux en plus grand nombre et autrement conformés que le commun des mortels, des yeux capables de percevoir du premier coup et tout ensemble les objets qui relèvent des domaines opposés du microscope et du télescope.

Burroughs est, comme Thoreau, élève d’Emerson, et si clairement qu’il voie les choses de la nature, avec quelque curiosité qu’il les étudie, il est d’abord occupé de leurs suggestions spirituelles. Le titre d’un de ses plus jolis livres, Sauterelles et miel sauvage, fait naître, par exemple, l’idée de ce qu’offre de délectable un désert même et du genre de trouvailles qui nous attendent sur les points les plus déshérités. Pour comprendre le sens de Pepacton, quelques éclaircissemens sont nécessaires. Le Pepacton est un bras du Delaware, un cours d’eau pittoresque sur les rives duquel M. Burroughs est né ; son nom indien signifie mariage des eaux, et ce nom convient bien à un livre où se réunissent maints courans en effet : morale, philosophie, notes familières crayonnées le long du chemin sur les plantes et sur les bêtes, anecdotes, critique même, car ces disciples d’Emerson sont tous, en science et en littérature, des critiques singulièrement sagaces. Il suffit pour s’en assurer de lire une certaine étude de Thoreau sur Carlyle. Les jugemens de Burroughs sont marqués au coin de la même pénétration ; il applique au monde intellectuel cette acuité de coup d’œil qui lui permet de scruter le monde physique. Il croit aussi à l’intuition.

« Un vrai poète, dit-il quelque part, en sait plus long que le naturaliste sur la nature ; parce qu’il porte les secrets de la nature dans son cœur. »

Ceci est purement émersonien. Nous avions déjà lu :