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d’oiseaux. « Chateaubriand lui-même, qui, le premier, essaya des vertus de la forêt primitive et dont les descriptions de la solitude au point de vue imaginatif sont sans égales, se figure avoir entendu le peuple de l’air lui chanter des hymnes. Le fait est que plus on pénètre dans la profondeur des bois, moins on entend de voix d’oiseaux. Malgré la minutie de détails qui distingue Chateaubriand, malgré la merveilleuse image de l’arbre décrépit tombant de son propre poids, phénomène qu’il a été le premier à remarquer, je ne peux m’empêcher de douter qu’il se soit enfoncé beaucoup dans la solitude. Une lettre à Fontanes, écrite en 1804, parle de ses chevaux paissant à quelque distance. Il était enclin à monter en effet sur ses grands chevaux ; n’importe, ce ne doit être là qu’une réminiscence après coup, une fantaisie de grand seigneur, car on ne pousserait pas loin à cheval vers les retranchemens druidiques des forêts de plus primitives. »

A défaut de rossignol, Lowell a le bobolink, dont « la saison d’opéra » ne dure guère malheureusement. Bobolinks mélodieux, oiseaux-mouches irascibles, rouges-gorges destructeurs de fruits, geais, linots, grives, chardonnerets, etc., le maître du jardin les laisse vivre en paix à leur guise depuis si longtemps qu’ils le traitent avec une familiarité presque insolente. On dirait qu’ils sont les véritables propriétaires du lieu et qu’il n’est lui qu’un simple tenancier. Il ne s’en plaint pas, persuadé qu’ils font en somme plus de bien que de mal. Quel bipède mériterait qu’on en dit autant de lui ? Et, quant aux vols effrontés des écureuils, il les excuse aussi, persuadé qu’élevé de même et exposé à des tentations égales, il en eût fait bien d’autres… La belle saison est si courte ! L’aimable philosophe, il est vrai, a le bon esprit d’aimer tout autant la mauvaise. Il faut lire son éloge de l’hiver, son apologie de la neige, qui donne à la terre une physionomie virginale avec laquelle nulle autre saison ne saurait lutter, et qui fait paraître vulgaires les autres beautés moins pures. Et le bruit lointain du lac d’où s’exhale comme un cri étouffé quand la gelée le prend et fige sa surface ! Rien n’est plus impressionnant, sauf peut-être la chute d’un arbre dans la forêt au milieu du silence d’un après-midi d’été. En outre, quelle heureuse influence morale possède l’hiver ! Certes, on peut nommer l’automne le poète de l’année, mais c’est un poète sentimental ; il vous reste de ses splendeurs, à la fin, quelques feuilles colorées d’un rouge hectique de mauvais augure ; l’automne touche les cordes les plus sensibles de l’âme jusqu’à la mélancolie, jusqu’à l’énervement. C’est alors que la main virile de l’hiver vient mettre bon ordre à cet état malsain ; son souffle a vite fait de vous éclaircir l’esprit, de dissiper les