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brouillards et de vous montrer les choses comme elles sont. C’est un poète aussi à ses heures, mais un poète austère, à la voix mâle qui n’amollit point le cœur.

Quelle que soit la saison qui les inspire, on doit le reconnaître, aucun des naturalistes américains n’a jamais ce tort d’amollir l’âme en faisant de la nature la complice de ses passions, l’écho de ses douleurs et de ses plaintes. Sur ce point, ils se dégagent du groupe des grands peintres de paysage idéal : Bernardin de Saint-Pierre, Cowper, Chateaubriand, Wordsworth, Byron, Lamartine, George Sand, sortis de l’école de Rousseau, qui lui-même, selon Lowell, dérive à son insu de Thomson, ce poète incomplet, mais sincère, le premier qui essaya de rendre avec des mots ce qu’avaient fait à l’aide des lignes et des couleurs Salvator Rosa et Le Poussin. D’autres nous ont montré plus éloquemment le retour des désespérés, des désabusés dans les bras de la grande Cybèle, leur dernier refuge. Thoreau et ses émules n’ont ni crimes, ni douleurs, ni désenchantemens à oublier. Ils vont droit à elle d’un élan joyeux, innocent, presque enfantin, auquel les plus simples peuvent s’associer et qui est pour tous d’un bon exemple. Point de rêveries alanguissantes sous les grands arbres, au bord des eaux. Les femmes, — il y en a plus d’une, nous l’avons déjà dit, parmi les naturalistes, et elles n’occupent pas le dernier rang, — s’en gardent tout autant que les hommes. Elles ne tombent pas non plus dans le mysticisme religieux ; elles aiment l’activité, l’exercice au grand air, elles ont la Emerson et Agassiz, elles sont frottées de science et de philosophie, mais d’abord elles sentent la nature profondément et passionnément, elles savent la décrire dans son ensemble et dans ses détails. C’est avec discrétion qu’elles ajoutent ça et là quelques figures à leurs paysages ; l’élément romanesque se manifeste à peine. A white Heron, rencontré parmi les derniers récits de miss Jewett, nous semble un parfait échantillon du genre.

Le héron blanc est l’objet des convoitises d’un chasseur fort occupé d’ornithologie et qu’aiderait bien volontiers la petite Sylvie qui paît sa vache aux environs du nid précieux. Cette fillette si sauvage qu’elle ressemble plutôt à une fleur de la solitude ou à un timide petit fauve des bois qu’à une enfant des hommes entreprend d’héroïques travaux pour aider l’étranger dans sa poursuite acharnée. Elle grimpe avant l’aube jusqu’au faite du pin colossal d’où l’on découvre avec tout le pays environnant des merveilles à donner le vertige. Du haut de ce poste d’observation, elle voit l’oiseau émerger de la verdure du marais. C’est là son gîte :