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avertit l’acteur que son tour est venu, et on lui permet de s’acquitter de son offrande, à la condition qu’il ne l’apporte pas lui-même. Aussi bien il paraît que de tout temps l’espèce des gens de théâtre a été charitable ; la Guimard s’en excuse gaîment, avec une gentillesse de bohème : « Je donne l’exemple, afin qu’on ne me refuse pas plus tard. » On la laisse faire. Madeleine Béjart, en son testament, avait légué à la paroisse de Saint-Paul une somme qui serait distribuée, chaque jour, à cinq pauvres, « en mémoire des cinq plaies de Notre-Seigneur. » Les marguilliers ne l’ont pas contrariée. Tout cela n’empêche que l’Église de France au XVIIIe siècle, aussi durement que jamais, retranche les acteurs de la communauté chrétienne. Hors les cas prévus par les canons reconnus dans le royaume, elle ne peut refuser les sacremens et la sépulture qu’aux criminels frappés de cette aggravation de peine au nom même de la loi civile ; soit ! mais justement les canons d’Elvire et d’Arles sont de ceux-là. Et puis, au besoin, on s’en passerait : à défaut de « l’excommunication de droit, » on aurait « l’excommunication ipso facto. » On bien, sans soulever de si grands mots, on invoquerait contre les acteurs « la qualité de pécheurs publics et scandaleux. » Elle « suffit, » dit l’abbé de Latour (1763). « Dieu l’a expressément ordonné : ne donnez pas les choses saintes aux chiens. » Voilà l’esprit de notre Église.

Des plaisans peuvent murmurer aujourd’hui que, si les rituels déniaient alors à une actrice, comme on disait déjà, « le droit de mentir à confesse, » la privation, pour elle, n’était pas si terrible ; ils peuvent douter qu’un grime, voire un premier comique, fût toujours en appétit de communier. Ils oublient qu’il est vexant, au moins, d’être écarté publiquement, par privilège d’infamie, d’une table mise pour tout le monde ; eux-mêmes, et en les supposant impies, comme sans doute on en a quelque droit, on voudrait les y voir : ils seraient tentés, probablement, parle goût de l’hostie défendue. Combien d’électeurs s’abstiennent de voter, qui jetteraient les hauts cris si quelque loi venait leur enlever le droit de suffrage ! Au reste, il faut bien admettre que la piété de Lekain était sincère : il ne serait pas-ailé ; chaque année, pour le seul plaisir de la contradiction, faire ses Pâques en Avignon, ville du saint-siège. Enfin, ce n’est pas seulement de pratiques dévotes qu’il s’agissait : on n’avait pas alors, — est-il besoin de le rappeler ? — la grande ressource du mariage ni de l’enterrement civil. Vingt années plus tôt seulement, les paroles de Bonaparte, premier consul, n’auraient pas en de sens ; comme on lui rapportait que le curé de Saint-Roch avait refusé de recevoir le cercueil d’une danseuse, Mlle Chameroi : « Pourquoi a-t-on présenté le corps à l’église ? s’écria-t-il. Le cimetière est ouvert à tout le monde, il fallait l’y porter tout droit. » Encore, sous Louis XV et Louis XVI,