Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/463

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soustraits à peine par l’empressement d’un prêtre à l’inclémence de son supérieur ! .. Nous avons aujourd’hui un autre archevêque.

Indignons-nous de ces rigueurs ecclésiastiques, à la bonne heure I Mais comment nous en étonner ? La loi civile était alors plus dure pour les comédiens que la loi religieuse… Et que parlé-je de loi ? Le Parlement n’avait cure de la déclaration de 1641 qu’il avait enregistrée : en 1738, il définissait les comédiens « ces hommes diffamés dont le crime est aussi public que la profession qu’ils exercent est solennellement défendue ; » en 1761, il condamnait au feu un mémoire écrit en leur faveur, et il ordonnait que l’auteur fût rayé du tableau des avocats. Est-il besoin de dire que ces infâmes ne pouvaient obtenir aucun emploi dans l’État, aucun grade dans l’armée ? Ils n’avaient même pas le droit de témoigner en justice. Pour les Comédiens du roi, français, italiens ou gens d’Opéra, il n’y avait qu’une loi, changeante et absolue : le caprice des gentilshommes de la chambre et du ministre de la maison du roi. Ils n’étaient pas soumis, comme leurs camarades des théâtres de la foire, ou comme les prostituées, au bon plaisir du lieutenant de police ; leur condition était plus douce : la preuve en est que beaucoup de femmes galantes, qui ne prétendaient pas chanter ni danser, demandaient à être inscrites sur les registres de l’Opéra. Ces acteurs favorisés, cependant, appartenaient à la maison du roi aussi complètement que la fille publique à la police. Et qu’on entende bien qu’il ne s’agit pas seulement ici d’administration et de gouvernement artistique. Tandis que l’Opéra, soumis particulièrement au ministre, était régi tour à tour selon divers systèmes, il est bien vrai que les gentilshommes de la chambre s’étaient arrogé la direction minutieuse et despotique de la Comédie-Française : disposant du choix des spectacles, de la distribution des rôles, de la répartition des fonds, ils voulurent même, un jour, que les pièces, avant d’être reçues, leur fussent communiquées ; s’ils n’allèrent pas jusqu’à se réserver le soin de les écrire, du moins ils décidèrent que « MM. les auteurs n’entreraient plus dans l’orchestre, mais à l’amphithéâtre seulement. » Bagatelles que tout cela ! .. Mais la personne même des Comédiens dépendait de MM. les gentilshommes, à peu près comme, deux mille ans plus tôt, la personne des histrions dépendait du préteur : je ne sais si toute l’histoire offre un aussi bel exemple de tradition.

Cette fille de quatorze ans promet une chanteuse : la voilà, malgré sa mère, attachée à l’Opéra. C’est le service obligatoire ou du moins la presse. Comment se nomme la débutante ? Sophie Arnould. Allons, pour une fois, l’enrôlement forcé est excusable ; mais l’usage ne laisse pas que d’être odieux. Encore, en 1784, un acteur du nom de Martin ayant réussi à Marseille, il est mandé à Paris par une lettre de cachet. Quant à voyager hors de France, un Comédien n’y doit pas songer sans une