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communion aux acteurs : « Si elle remonte sur le théâtre comme une esclave qu’on fait danser avec ses fers, elle perd toute considération. J’attends d’elle une fermeté qui lui fera autant d’honneur que ses talens, et qui fera une époque mémorable. » Assurément la tragédienne avait moins d’emphase, lorsqu’elle écrivait cet aveu : « Je ne dissimulerai point que je mêlais infiniment de vanité au désir juste et naturel d’avoir un état plus honnête : montaient ne peut s’écrire ni se peindre, l’idée s’en perd avec mes contemporains ; » mais, « si j’obtenais la gloire de surmonter les préjugés de ma nation… Le tenter seulement disait beaucoup pour moi : j’acceptai. »

C’est alors qu’on s’avisa d’un assez joli tour. Les acteurs de l’Opéra échappaient à l’excommunication aussi bien que ceux de la troupe italienne, mais par une autre raison, ou plutôt par un singulier subterfuge. L’Opéra s’appelait Académie royale de musique : chanteurs et danseurs n’étaient pas des comédiens, à la lettre, mais une sorte particulière d’académiciens. Peut-être aussi tiraient-ils bénéfice de l’origine italienne du genre. Toujours est-il qu’on inventa ce stratagème : la Comédie-Française recevrait le nom d’Académie nationale de déclamation ou d’Académie royale dramatique, et là-dessus… passez à la sainte table ! Un nouvel avocat rédigea un projet de déclaration, que l’on prierait le roi d’adresser au parlement. Voltaire, qui reconnaissait que, pour réconforter Clairon, il était allé « un peu loin, » Voltaire dut même déconseiller cette clause : « Voulons et nous plaît que tout gentilhomme et demoiselle puisse représenter sur le théâtre… » — « Il faut tâcher, disait-il, de rendre l’état de comédien honnête, et non pas noble. » Mais, pour cela, il ne doutait pas qu’on ne fût tout près d’y réussir. Et le patriarche de Ferney entonnait le Nunc dimittis : « Ce sera une grande époque dans l’histoire des beaux-arts ! .. » Hélas ! pauvre Siméon ! il advint de sa joie comme de celle d’une simple Perrette ; quand M. de Saint-Florentin apporta cette élucubration au conseil, le roi lui dit simplement : « Je vois où vous voulez en venir ; les comédiens ne seront jamais sous mon règne que ce qu’ils ont été sous celui de mes prédécesseurs ; qu’on ne m’en reparle plus. » Et Clairon, dans la retraite où elle se cantonna, n’eut d’autre recours que de se montrer philosophe : « Je me tais et me console, en lisant Épictète, de tous les hasards de la nature et du sort ! »

Cependant les comédiens, pour compenser tant de vexations, avaient des plaisirs moins austères que ceux de la philosophie, des entretiens plus doux que ceux d’Epictète ; et, si leur condition privée sous le règne de Louis XV ne fut pas sans gloire, il faut avouer que cette gloire avait commencé « sous celui de son prédécesseur », mais il faut convenir aussi qu’elle ne fit que s’accroître, et jusque sous son successeur, — l’homme vertueux qui, dans le principe, avait jeté au feu une