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temps, accepte jusqu’à un certain point par M. le président du conseil, qu’un ministère républicain n’a point à s’occuper des conservateurs et de leur vote, qu’il ne doit avoir qu’une majorité de républicains, que par conséquent il doit tout sacrifier pour maintenir cette majorité. Si ce n’était pas de la part de M. le président du conseil un artifice de tactique et de langage, la théorie serait extraordinaire. Elle serait une dérision du régime parlementaire ; elle ne tendrait à rien moins qu’à mettre hors la loi, dans le parlement, un tiers, de l’assemblée, dans le pays plus de 3 millions de Français, réduits à ne compter pour rien dans la délibération de leurs propres affaires, de la France, C’est là ce que les raffinés de la république appellent leur libéralisme. Ils n’admettent même pas, — on l’a vu ces jours derniers dans le département de l’Aube, — qu’on introduise dans une simple commission permanente un conservateur des plus modérés.

Que les radicaux redoublent aujourd’hui de passion exclusive et de violence, ils savent bien ce qu’ils font, ils sont dans leur rôle, en s’efforçant d’imposer à un ministère nouveau une solidarité, une politique, des conditions de gouvernement faites pour rejeter tout, ce qui est conservateur dans une irréconciliable hostilité, ils créent une situation où ils se croient sûrs de finir par dominer. Ils multiplient les difficultés pour en profiter. Que des républicains qui se disent modérés, qui veulent l’être probablement, se prêtent à ces tactiques ou paraissent partager ces passions exclusives de peur d’avoir l’air de s’allier avec les conservateurs, c’est ce qu’il y a de plus curieux. Ils ne s’aperçoivent pas qu’ils se préparent à eux-mêmes, à eux les premiers, une inévitable et irréparable défaite, que leur seule chance, puisqu’ils se disent modérés, est de s’allier avec tout ce qui est modéré pour soutenir le ministère dans sa politique d’apaisement et de réparation. Et quand, par une subtilité de plus, pour le rassurer à demi, on prétend qu’on ne veut pas du vote des conservateurs dans le parlement, qu’on veut tout simplement leur enlever les voix qu’ils ont conquises, que les républicains ont perdues aux élections dernières, on ne voit pas qu’on se paie d’un mot qui est un non-sens, qu’on joue avec la vérité des choses. Comment donc, en effet, les a-t-on perdues, ces voix qu’on regrette, qui sont passées aux conservateurs ? On essaierait vainement de s’abuser, ce qui s’est passé aux élections de 1885 reste une protestation contre cette politique de républicanisme radical qui, en quelques années, a fatigué le pays de vexations et d’agitations stériles, qui a mis le trouble dans les consciences, l’incohérence dans l’administration, le déficit dans les finances, l’inquiétude et la défiance partout. Comment se flatte-t-on aujourd’hui de les reconquérir, ces voix perdues, de les rallier à la république ? Ce n’est pas apparemment en continuant et en poussant à outrance, comme le demandent les radicaux, la politique qui a fait reculer le pays il y a deux ans. On ne peut