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inutile. Informons nos cours et attendons les ordres qu’elles jugeront convenables de nous donner. » — Brühl se montra bien alors un peu ému de cette menace d’une rupture faite ainsi sur place et sans retour, et voulut courir après ses paroles. — « Il me prit la main, ajoute Vaulgrenant, et me dit : Nous sommes, je l’avoue, vivement ulcérés, et il faudrait n’avoir pas d’entrailles pour ne pas ressentir les injures qu’on nous dit. Il nous faut quelques jours pour nous remettre, mais soyez sûr que nous ne précipiterons rien. » — Vaines assurances : l’instruction donnée au comte de Loos ne fut ni retirée ni atténuée[1].

D’Argenson fut tout de suite et exactement informé de ce revirement, qui, au fond, n’en était pas un. Ses agens, qui en étaient plus contrariés que surpris, n’ayant jamais partagé ses espérances, mirent même à le détromper un empressement qui n’était pas exempt de malice. — « Il fallait s’y attendre, écrivait l’un d’eux, car c’était une étrange manière pour le roi de Prusse d’offrir au roi de Pologne la couronne impériale que de la lui présenter à la pointe de son épée. » — On peut s’imaginer, mais on peindrait difficilement, le chagrin que le ministre déçu éprouva en voyant s’évanouir les dernières fumées de ses espérances. — « Que faire, écrivit-il sur-le-champ à son envoyé, si la Saxe nous abandonne ? Nous comprenons maintenant que les espérances dont elle a voulu nous flatter, sur le désir du roi de Pologne de devenir empereur, n’étaient qu’un moyen dont elle se servait pour arrêter l’invasion qu’elle appréhendait de la part des troupes prussiennes. » — Puis avec Chavigny, dont il avait deviné le blâme mal dissimulé au moment de la retraite de Conti, il entrait dans une sorte de justification plaintive. — « Nous ne pouvions, disait-il, que rester sur la défensive et non prendre l’offensive ; c’était aux Allemands à soutenir le système germanique et à montrer s’ils voulaient secouer le joug autrichien… Leur constitution, à cet égard, peut être comparée à celle de la Grande-Bretagne. C’est aux peuples du royaume à se donner un nouveau roi ; nous pouvons tout au plus les soutenir contre les fauteurs de la tyrannie. Ce n’était pas à nous à attaquer directement la tyrannie et l’usurpation. Ceux qui nous le demandent sont comme ces jacobites outrés qui ont perdu la cause qu’ils soutenaient. » — Mais en même temps, dans des confidences plus intimes, son irritation contre Auguste III s’exprimait avec toute l’amertume de l’affection trompée. — Ce prince naguère si droit, l’espoir des bons patriotes, n’était plus que contraste et

  1. La Noue à d’Argenson, 23 août, — Saint-Severin à Conti, 28 août, 3 et 10 septembre ; — Vaulgrenant à d’Argenson, 24, 28 et 31 août 1745. (Correspondances d’Allemagne et de Saxe. — Ministère des affaires étrangères.)