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Frédéric avait donc été très mal informé de l’étendue de sa perte, puisqu’il assure dans ses mémoires que ses secrétaires, avant de se laisser prendre, avaient mis tous ses papiers en sûreté ; et il fut plus mal inspiré encore, s’il est vrai, comme il le raconte également, qu’il choisit précisément le moment de la présence de l’impératrice à Francfort pour lui faire « lâcher quelques paroles de paix » par des émissaires chargés de sonder le terrain, et de voir quel effet avait produit sur elle la journée de Sohr. Il est aisé de deviner quel accueil ces porteurs de paroles reçurent et quel rapport ils durent lui en faire. « Cette princesse fit paraître, dit encore Frédéric, qu’elle laisserait plutôt son cotillon que la Silésie. »

Le ministre bavarois, de qui Blondel recevait de première main ces détails intimes, ne manquait pas de faire remarquer que ce serait le moment pour les souverains de France et d’Autriche, également trahis et insultés, de mettre en commun leurs injures pour en tirer vengeance. Ce n’était pas la bonne volonté, on l’a vu, qui manquait à Blondel pour entrer dans cette pensée, pas plus qu’aux autres agens français présens à Francfort, qui tous avaient écrit dans un sens conforme à leur ministre. Mais n’ayant reçu de lui aucune réponse, et Blondel même ayant été assez sèchement averti de ne se mêler que de ce qui le regardait, ils n’avaient garde d’ouvrir l’oreille à ces insinuations, et, pour ne pas les entendre, ils s’enfermaient chez eux. — « Je vis ici comme un proscrit, écrivait Saint-Severin, n’osant parler à personne et sentant que je suis de trop. » — Personne ne se trouvait donc sur place pour avertir promptement à Versailles de l’état d’esprit de Marie-Thérèse, et cependant elle désirait elle-même si vivement entrer en relation directe avec Louis XV, qu’elle pensa, dit-on, un moment à demander pour le comte Chotek, son ministre à Munich (qui se plaignait de souffrances de poitrine) la permission d’aller passer l’hiver à Montpellier, dans l’espoir qu’en traversant Paris il trouverait quelqu’un avec qui s’aboucher ; mais ce diplomate, encore jeune et novice, recula devant la pensée d’être chargé à lui seul d’une tâche si délicate. Faute de mieux, il fallut donc se contenter de l’intermédiaire plus lent que d’Argenson avait préféré. Ce fut le comte Saul, ministre de Saxe à Vienne, qui vint porter la parole, non pas directement au nom de la France, mais au nom du roi de Pologne, choisi par Louis XV pour médiateur[1].

  1. Blondel et Saint-Severin à d’Argenson, octobre 1745, passim. (Correspondances d’Allemagne et de Mayence) — Lettre particulière de La Noue à d’Argenson, 4 novembre 1745. C’est dans cette lettre qu’est mentionné le projet de voyage du comte Chotek à Montpellier ; d’Argenson met en note : — « Si Chotek avait cru que la négociation fut sincère et non illusoire, il eût accepté cette occasion d’honneur et de profit.