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défection que dans ses engagemens[1]. » Vaulgrenant, étonné de ce scepticisme persistant qu’il ne pouvait pas partager, mais qu’il n’osait pas trop ouvertement contredire, n’en comprenait que mieux combien peu le ministère tenait au succès de la négociation dont on l’avait chargé. — « Dans le doute, écrivait-il, si nos conditions sont acceptées, puis-je encore faire usage de mon pouvoir ? »

Pour sortir pourtant de cette incertitude qu’il était seul à éprouver encore, d’Argenson imagina un moyen assez heureux de mettre Frédéric dans l’alternative ou de dissiper ou de confirmer avec éclat tous les soupçons. Il lui proposa de renouveler publiquement, de concert avec l’électeur palatin, une protestation contre l’élection de Francfort, mais sous une forme plus solennelle que la première, visant plus directement la personne de l’élu, et à laquelle le roi de France s’associerait en qualité de garant de la paix de Westphalie et de protecteur des libertés germaniques. Le coup n’était pas mal joué pour réduire son allié suspect au pied du mur et couper court à tous les ambages ; mais c’était à la condition qu’on fût résolu d’avance, en cas de refus ou même d’ambiguïté dans la réponse, à prendre soi-même acte de la liberté d’action rendue par là à la France ; c’était aussi à la condition qu’on tînt en réserve pour ce cas si probable une négociation déjà très avancée avec l’Autriche, pouvant aboutir sans délai à une conclusion effective et qui aurait eu ainsi le caractère d’une prompte et juste représaille[2].

La proposition trouva Frédéric dans une humeur qui, bien que naturelle à son caractère, lui était devenue depuis quelque temps étrangère. Après de longs mois d’angoisse et de perplexité, se voyant échappé, par deux actes d’une témérité heureuse, à des périls où il avait cru succomber, il reprenait dans sa fortune et dans son étoile une confiance absolue. Les ratifications anglaises lui étant arrivées peu de jours après la bataille de Sohr, il se croyait maintenant pleinement maître du terrain. — « La reine Thérèse, disait-il, en passera par où le roi George voudra. » — Si ce n’était pas tout de suite, ce serait dans quelques semaines ou quelques mois, quand, l’or anglais faisant défaut, la disette commencerait à se faire sentir. D’ici là, comme on entrait dans la saison d’hiver, on avait, pensait-il, le temps d’attendre et au besoin de se retourner.

Quelques rumeurs étaient bien arrivées à ses oreilles de négociations tentées entre l’Autriche et la France, mais il n’y attachait

  1. Chambrier à Frédéric, 15 octobre ; — d’Argenson à Vaulgrenant, 14 octobre ; — à Chavipny, 20 octobre ; — Vaulgrenant à d’Argenson, 8 et 12 octobre ; — Conti à d’Argenson, 10 octonre. (Correspondances d’Allemagne, de Saxe et de Bavière. — Ministère des affaires étrangères.)
  2. Frédéric à Valori, 9 octobre ; — à Podewils, 10 octobre 1742.— (Pol. Corr., t. IV, p. 303.)