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peintre : tous les momens et tous les aspects appartiennent à l’histoire. Cette tâche remplie, l’historien prend parti avec passion, avec furie. Toujours exact, jamais impartial, vous pouvez le maudire comme juge, vous ne pouvez le récuser comme témoin. Concluez contre lui, si cela vous plaît : ce sera le plus bel éloge que vous puissiez faire de son honnêteté.

Tel est l’homme, tel est le système auquel se donna James-Anthony Froude. La doctrine de l’adoration silencieuse, la foi sans dogme, comme une musique sans paroles, endormait ses doutes sans y répondre ; elle satisfaisait aux besoins de cette double nature : tempérament religieux, esprit critique. Elle lui permettait de rester en communion sympathique avec ces puritains qu’il admirait ; car elle ne s’écarte pas trop de cette religion individuelle où chaque homme, dans son temple intérieur, est l’interprète des Saintes Écritures. Mieux encore : elle était, dans la pensée de M. Froude, sinon dans celle de Carlyle, la transformation finale du puritanisme. En même temps, une manière nouvelle de comprendre et d’écrire l’histoire lui indiquait l’emploi futur de ses talens. Restait à trouver un sujet. Obéissant à cet esprit quelque peu hargneux qui était en lui et le portait à défier les opinions reçues, il prit pour thème la réforme anglicane, parce que personne, même en Angleterre, n’osait en parler. L’opinion commune voulait qu’Henry VIII eût été un tyran et un scélérat, Élisabeth une femme de génie. M. Froude entreprit de démontrer que l’un avait été un honnête homme et un grand prince, l’autre une vieille fille capricieuse et médiocre. C’est à ce double paradoxe qu’il a consacré douze volumes et vingt ans de sa vie. A-t-il réussi, et dans quelle mesure ?


III

Au moment où s’ouvre le récit de M. Froude, en 1529, Henry règne depuis vingt ans. Déjà l’obésité alourdit et déforme cette beauté merveilleuse que les poètes avaient chantée, que l’Europe entière admirait. Il a gardé, cependant, sa supériorité dans tous les exercices du corps. Habile archer, excellent écuyer, il est, de plus, théologien et ingénieur. Il a l’amour du canon, que les souverains partagent avec les enfans, bien qu’il se contente d’être un artilleur platonique. Dans ses préambules législatifs, dans son immense correspondance administrative et diplomatique, se montre, avec une instruction variée, une certaine puissance personnelle d’expression, qui se fait jour à travers les circonvolutions pénibles de la période. Il expose et discute les thèses économiques et sociales du XVIe siècle avec compétence et surtout avec un luxe édifiant de bonnes intentions. « Les royaumes sans justice, écrit-il au comte