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de races qui tendaient à s’éteindre, ébranlé la prospérité de tous les pays, transformé le caractère et le tempérament allemands ; elle donne de cruels démentis aux espérances de ceux qui croyaient à la solidarité des intérêts économiques, et qui s’étaient flattés que les merveilleuses découvertes de la science moderne, la vapeur et l’électricité, réconcilieraient les nations en les rapprochant. Des milliers de proscrits, dont le seul crime est la fidélité au passé, endurent, victimes de théories gouvernementales d’un autre âge, les amertumes de l’exil, frappés dans leurs intérêts et dans leurs affections.

« Je n’ai pas le patriotisme étroit d’une frontière politique, écrivait, il y a bien des années, un homme d’état autrichien, le comte de Ficquelmont, mais j’ai celui d’un Européen. J’aime l’Europe comme le berceau qui nous est commun à tous, comme le centre de notre civilisation, comme le foyer qui pénètre toutes les régions du globe. » — Quel contraste entre ces idées si larges, si humaines, et celles qui s’imposent aujourd’hui ! Que nous sommes loin de la politique des nationalités, sanctionnée par le vœu et le suffrage des populations ! Que sont devenus les congrès et les arbitrages que préconisait un souverain infortuné et qui devaient à jamais conjurer les luttes sanglantes ? — L’avenir dira si Napoléon III n’était qu’un songe creux ou bien le précurseur d’une civilisation supérieure. Il décidera entre le programme du comte de Pourtalès et celui du prince de Bismarck ; il apprendra si l’Allemagne, aux yeux du monde, n’eût pas été plus grande, plus admirée, faite par la liberté que par le fer et par le sang.


IV. — LES PARTIS EN PRUSSE.

La capitale de la Prusse, sous Frédéric-Guillaume IV, n’était pas comme aujourd’hui dominée par une volonté puissante, implacable, qui, au nom de l’état, s’impose aux plus audacieux. La haine et l’envie qu’engendrent les passions politiques s’agitaient, pendant la guerre de Crimée, dans des menées ténébreuses, autour d’un souverain honnête, mais faible et changeant.

Deux partis se trouvaient en présence, se disputant la faveur du roi, à l’heure où la Porte, sur les conseils de lord Stratford, — qui n’avait pas oublié qu’on avait refusé de l’agréer comme ambassadeur à Pétersbourg, — avait déclaré la guerre à la Russie.

Le parti libéral interprétait le sentiment public ; il était appuyé, bien que discrètement, par le baron de Manteuffel, et il se sentait soutenu par les sympathies de l’héritier du trône. Le prince de Prusse, dont personne ne soupçonnait à cette époque la grandeur