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avait fourni sa part à l’œuvre commune ; on n’y tenait plus. Les anciens livres du Nord périrent donc, au moment de leur plein succès. Peut-être cette littérature exquise inspira-t-elle quelques pastiches aux lettrés du temps d’Ézéchias. Le charmant livre de Ruth nous est resté comme une épave indécise de la littérature idyllique qui rapportait au temps des Juges l’âge idéal de toute poésie.

Pour l’époque de Salomon et de Roboam, de Jéroboam et de leurs successeurs, on possédait des annales sérieuses, d’où l’on tira une histoire des rois de Juda et d’Israël, qui fut continuée à mesure. De là ces Livres des Rois, qui sûrement n’avaient pas, au temps d’Ézéchias, la physionomie sèche et étriquée qu’ils ont aujourd’hui. Après la captivité, un abréviateur maladroit, tenant de près à Baruch et à l’école de Jérémie, lit à coups de ciseaux le livre que nous avons, chétif extrait, taillé avec l’esprit le plus partial dans un vaste ensemble de documens, et mêlé de parties faibles empruntées aux agadas prophétiques.

Dès le temps d’Ézéchias, commencèrent probablement ces Vies de prophètes, intimement liées à l’histoire des rois. Certains récits sur Élie et Elisée ont un grandiose qui les rapproche des plus belles pages du jéhoviste ; d’autres, au contraire, ont des détails exagérés, puérils, presque odieux, introduits sans doute à l’époque où l’on aimait à se figurer les prophètes confondant les rois et dominant les populations par la terreur. La prophétie d’Élie et d’Elisée eut un si grand caractère que jamais on ne vit poindre, à Jérusalem, la pensée qu’ils fussent schismatiques. Nous inclinerions, cependant, à croire que les belles parties de cette légende lurent écrites dans le Nord. Il serait du plus grand intérêt de savoir comment elles réussirent à s’acclimater à Jérusalem.

Le travail littéraire des « Hommes d’Ezéchias » s’exerçait dans des ordres assez divers. Un des genres les plus chers aux peuples sémitiques, à toutes les époques, a été celui des mesalim, proverbes, maximes exprimées d’une façon piquante, petits morceaux d’une tournure énigmatique et recherchée. C’est un usage constant des littératures de cet ordre qu’un personnage réel ou fictif, célèbre à tort ou à raison par sa sagesse, endosse toutes les sentences anonymes et centralise les maximes des siècles les plus divers. Chez les Hébreux, dès l’époque d’Ézéchias, c’était Salomon qui jouait ce rôle d’auteur parémiographique et gnomique par excellence. Les Hommes d’Ézéchias compilèrent un recueil de proverbes, qu’on mettait déjà sur le compte du fils de David, et réunirent à la suite quelques autres petits recueils d’une sagesse fort ancienne, attribués à des personnages énigmatiques, Lemuel, Agour, Ithiel. Là