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nombre des chars et la force des cavaliers, mais qui ne tournent pas leurs regards vers le Saint d’Israël et ne se soucient pas de Iahvé ! Lui aussi, il est habile ; il dispose du mal ; il ne retire pas sa parole ; il se lève contre la maison des méchans et contre les alliés des impies. Mesraïm est un homme, non un dieu ; ses chevaux sont chair et non esprit. Iahvé étend sa main, le protecteur trébuche, et le protégé tombe, et tous deux périssent ensemble.


Il y a des gens superficiels qui veulent qu’on leur prêche selon leurs illusions et non selon la vérité, qui s’impatientent quand on leur parle de Iahvé. Malheur à eux ! Le salut viendrait par la conversion, par la réforme de la société.

… Vous ne l’avez pas voulu ; vous avez dit : « Non ; à cheval ! à cheval ! » Eh bien ! vous en aurez du cheval. « Au galop ! au galop ! » Ah ! le beau galop sur vos talons ! Mille, à la menace d’un seul, à la menace de cinq, vous fuirez, jusqu’à ce que vous restiez comme une perche sur le sommet d’une montagne, comme un signal sur la colline…

Le prophète se repose, en finissant, sur des perspectives heureuses. Assur sera exterminé sans l’intervention d’une épée maniée par l’homme. Le peuple renoncera à ses idoles d’argent et d’or. Il en jettera les morceaux aux ordures… Au lendemain de chaque crise, on croyait ainsi voir s’ouvrir un âge d’or social, où le roi serait juste, où les administrateurs seraient parfaits, où l’on écouterait les prophètes, où l’impie serait réduit à l’impuissance. Alors, même les étourdis sauront comprendre. « L’insensé ne sera plus appelé noble ; l’intrigant ne sera plus dit libéral… »

Ne croirait-on pas entendre un sectaire socialiste de nos jours déclamant contre l’armée, raillant la patrie, annonçant avec une sorte de joie les défaites futures, et se résumant à peu près ainsi : « La justice pour le peuple, voilà la vraie revanche ; réformez la société, et vous serez victorieux de vos ennemis ; là où le pauvre est victime, là où il y a des riches privilégiés, il n’y a pas de patrie ? » Isaïe, hâtons-nous de le dire, sait donner à ces vérités dangereuses un éclat qu’elles n’ont jamais eu depuis. Le beau morceau politique que nous analysons finit par une théophanie de Iahvé qui respire le vieil esprit naturaliste et se confond, comme en un cinquième acte d’opéra, avec les reflets du bûcher d’Assur.

Voici Iahvé qui vient de loin ;
Sa face brûle, l’incendie éclate,
Ses lèvres sont pleines de colère,
Sa langue est comme un feu dévorant.