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Le parti réformateur eut là quelques années de pouvoir sans partage. La tentative manquée de Sennachérib fut, en effet, dans l’histoire du judaïsme, un événement décisif. On se souvint longtemps de ce terrible épisode, de la famine, peut-être de la peste, qui l’accompagnèrent. Les proclamations d’Isaïe, pendant la crise, furent presque toutes conservées. Même en admettant que la légende de l’ange exterminateur se soit développée bien plus tard, la délivrance annoncée par les prophètes, accomplie sans chevaux, sans chars, sans aucun des moyens étrangers à l’ancienne tactique d’Israël, n’était-elle pas le plus grand des miracles ? Le dieu national venait de remporter une victoire sans égale.

Au premier coup d’œil, c’était là un faible avantage pour la morale. Ce dieu national est un grand orgueilleux, un jaloux. Il veut que toute gloire lui soit rapportée. Il aime qu’on le loue, qu’on le flatte ; il n’est pas fâché qu’on lui mente, quand c’est un ennemi vaincu qui est réduit à s’incliner devant lui. On ne voit pas bien pourquoi, fait de la sorte, il est passionné pour le droit et le bien. Mais c’est ici le chef-d’œuvre des prophètes israélites. Leur Dieu idéal était en même temps le dieu de la nation. Là fut le secret de leur force. Une cause patriotique a plus de chances de succès qu’une cause abstraite. Les religions, dans leur âge de force, font plier la politique ; mais les religions naissantes ont souvent dépendu de circonstances politiques maintenant oubliées. Le moment de Sennachérib fut, comme celui d’Antiochus Épiphane, comme celui du retour de la captivité, un de ces momens où l’avenir de l’humanité se joua sur un coup de dés. Isaïe avait en quelque sorte engagé son enjeu sur un fait tangible, la délivrance de Jérusalem. Il avait parié, et il gagna son pari. Si Sennachérib fût revenu vainqueur de l’Egypte et eût pris Jérusalem, le judaïsme et par conséquent le christianisme n’existeraient pas.

Pendant tout le reste du règne d’Ezéchias, c’est-à-dire pendant une dizaine d’années, les prophètes furent tout-puissans. Isaïe était l’âme des conseils du roi. Ézéchias, convaincu des dons supérieurs de communication de son prophète avec Iahvé, s’inclinait devant lui, et peut-être, en cette dernière période, la modération qui avait signalé la première partie de son règne ne fut-elle pas toujours observée. Il y eut des conspirations, des complots. Les anavim assuraient le roi qu’il triompherait des pervers, et l’engageaient à les exterminer, eux et leur race. Le roi ne paraît pas avoir suivi les mauvais conseils qu’on lui donnait. Les réformes intérieures furent activement poussées dans le sens voulu par les anavim ; le parti des railleurs fut abaissé, et l’autorité passa presque tout entière entre les mains des hommes pieux. La justice fut probablement