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américain vient d’obtenir du congrès la nomination de commissaires, chargés de provoquer l’entrée du Dominion dans cette grande ligue douanière. Pareille accession serait le couronnement de l’œuvre entamée contre le commerce et l’industrie de l’Europe.

Le doute sur le succès de cette audacieuse entreprise est permis. Ce n’est pas que les séductions et les tentations aient manqué au programme. L’oncle Sam s’est mis grandement en frais pour promener pompeusement par tous ses états les délégués du sud et du centre, à peine débarqués sur le territoire du nord. Californie, montagnes Rocheuses et grands lacs, Chicago et New-York, cités gigantesques et déserts fertilisés ont été parcourus par les voyageurs, entraînés à toute vapeur sur un train de luxe royal, peu conforme aux mœurs plus que Spartiates de la Maison-Blanche.

Après six semaines de pérégrinations forcées, ils ont enfin retrouvé le repos à Washington, fourbus, et saturés de banquets copieux comme de speechs alléchans : ils viennent d’y délibérer durant cinq mois. Le secret des dernières discussions n’a pas été si bien gardé que les propos orageux des récens jours n’aient transpiré. Si on s’en rapporte à l’impression générale et finale, les offres de lignes ferrées et maritimes destinées à sillonner toutes les eaux et contrées des trois Amériques, destinées surtout à écouler à travers les républiques latines les produits miniers, métallurgiques, agricoles, industriels et monétaires de la vaste république du Nord, sans compensations avantageuses pour le commerce et les échanges des petites républiques, ont laissé, paraît-il, les délégués du Pan America assez froids.

Sauf la prise en considération par la conférence d’un arbitrage obligatoire, en cas de conflit, soit entre toutes les nations américaines, soit entre celles-ci et les puissances européennes, dont l’exécution restera sans doute platonique, à en juger d’après la querelle qui a éclaté à la dernière heure entre les délégués du Chili et ceux des États-Unis, l’échec des visées du secrétaire d’état serait probable. Et encore, sur ce terrain de l’arbitrage international, la bonne foi du gouvernement américain a-t-elle été soupçonnée et a-t-elle éveillé des craintes qui ne sont pas encore calmées : on y a vu la mainmise préméditée sur les petits états, et l’on s’est regimbé. Finalement, le 28 avril dernier, huit des quinze républiques ont contresigné l’accord voté par le congrès Pan America : les sept autres ont fait défaut.

De plus, grâce à l’expérience de leurs collègues, fort avisés, du Chili et de la République argentine, les commissaires n’ont pas tardé à découvrir le point faible de la cuirasse de M. Blaine. Ils ont reconnu que la première nation manufacturière et agricole du monde