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suivie par la pléiade des constellations qui l’entouraient : réunion très brillante, sans doute, mais d’un tout autre éclat que celui du monde où elle allait vivre. Elle n’en eut pas la prétention, mais elle ne pouvait non plus se défaire des habitudes et d’un tour d’esprit dont le charme, d’ailleurs, répondait si bien à celui de sa figure. Elle avait vécu jusque-là pour le plaisir ; le jour où elle devenait la maîtresse du roi n’était pas celui où elle devait commencer à songer au devoir, ni même à l’honneur. Elle eut, d’ailleurs, bien vite compris de quel malaise souffrait ce royal enfant gâté. Lassé d’une grandeur dont il avait épuisé les jouissances sans avoir la force d’en remplir les obligations, le roi s’ennuyait : Mme de Pompadour sentit que, pour continuer à lui plaire, il fallait sans cesse le distraire et le divertir. Mme de Châteauroux avait rêvé de l’illustrer en s’associant à sa gloire ; Mme de Pompadour ne se mit en peine que de l’amuser en partageant ses passe-temps. Elle prit en main tout de suite la direction des plaisirs de la cour ; et, par une douce et insensible influence, elle en eut bien vite changé tout le caractère. Les divertissemens mêmes avaient jusque-là, à Versailles, quelque chose de fastueux et de guindé qui leur donnait tout l’apparat d’une solennité publique. Louis XIV, dans les jours de sa plus vive jeunesse, n’avait jamais pu dépouiller cette gravité extérieure. Quand il figurait dans un ballet paré, Racine l’en blâmait et on en murmurait déjà ; mais au moins il se donnait en spectacle aux Romains sous le costume d’une déité de l’Olympe, et la foule, éblouie, pouvait admirer sa majesté native déguisée, mais non dégradée, sous cette noblesse d’emprunt. Tout autre fut le théâtre des petits cabinets, installé par Mme de Pompadour dès la première année de son règne. Là, nulle pompe ; tout se passait à portes closes, devant un petit nombre d’élus : les pièces, choisies parmi les plus gaies, souvent même les moins décentes du répertoire, étaient jouées par de grands seigneurs et de grandes dames travestis en valets, en soubrettes ou en villageois pour chanter des airs d’opéra comique. Rien de plus différent aussi que les Marly, dont Saint-Simon nous décrit le cérémonial rigoureux, et les petits soupers de Choisy, que Luynes est bien forcé d’enregistrer dans son journal, mais où la seule condition, pour être admis, était de se montrer bon compagnon et de joyeuse humeur. En un mot, Mme de Pompadour ne négligeait rien pour faire à Louis XV, à côté de l’éclat extérieur dont il était lassé, une vie intime affranchie à la fois des conventions de l’étiquette et des convenances de la dignité royale. Tout ce qu’elle touchait demeurait empreint d’une grâce voluptueuse bien différente de la sévère grandeur qui doit régner dans l’entourage d’un souverain. En un mot, si elle