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la sainte et digne reine de France, il était dur de lui demander de serrer contre son cœur maternel la fille de celui qui avait vaincu et proscrit son père. La princesse, venant d’Allemagne, n’aurait-elle pas à traverser Nancy, où Stanislas régnait encore ? Puis Auguste lui-même, lâche et timoré comme on le connaissait, aimant à se ménager dans tous les sens, et sa femme, archiduchesse d’Autriche, seraient-ils pressés de contracter des nœuds si étroits avec l’ennemi de Marie-Thérèse ? Le comte de Brühl, leur oracle, leur permettrait-il d’y souscrire ? Un traité récent engageait bien (nous venons de le voir), moyennant finances, les troupes saxonnes à ne plus servir contre la France, mais la neutralité seule était promise, et encore, dans des conditions de réserve et de secret qui faisaient douter qu’elle fût scrupuleusement observée. Enfin, qu’allait penser Frédéric, dans le silence énigmatique où il était désormais renfermé, d’une telle avance faite à un voisin qui avait toujours encouru son déplaisir et que le mépris seul sauvait de sa haine ?

Tout paraissait donc de ce côté, comme de l’autre, annoncer une négociation épineuse. A la grande surprise, pourtant, comme à la satisfaction de d’Argenson, dès que, tout autre parti étant reconnu impossible, il dut conseiller au roi de tourner ses vues vers Dresde, toutes les difficultés semblèrent aplanies d’avance. Le roi se décida tout de suite à des démarches directes, qui eussent été compromettantes si leur succès n’eût paru déjà assuré. Nulle objection, non plus, de la part ni de la famille royale, ni des autres ministres. Cette facilité ne donna-t-elle pas à d’Argenson le soupçon que l’affaire, pour être si avancée, devait avoir été traitée à son insu et en dehors de lui ? Je l’ignore ; en tout cas, il n’en laisse pas percer la supposition dans ses mémoires.

C’était pourtant la réalité ; pendant qu’il suivait à Paris, avec les agens plus ou moins autorisés de Charles-Emmanuel, des conversations qui ne pouvaient aboutir, un autre négociateur, doué assurément de vues politiques moins élevées, mais peut-être de plus de finesse pratique, et en tout cas, au lieu d’ingrates transactions diplomatiques, comptant ses années par des victoires, était intervenu sans rien dire ; et, prenant un à un tous les obstacles qui pouvaient s’opposer à la combinaison de son choix, les avait silencieusement écartés. C’était tout simplement Maurice de Saxe, à qui l’idée était venue, pendant un intermède obligé de ses actions militaires, de passer son temps à mettre la couronne de France sur la tête de sa nièce.

On peut se rappeler que nous avons laissé Maurice sur la frontière orientale de la Flandre, venant de forcer le prince Charles à repasser la Meuse et commençant les travaux du siège de