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faite pour l’obtenir n’était pas agréée à Versailles, elle serait toujours connue et mal prise à Vienne ut le compromettrait avec Marie-Thérèse. L’essentiel était donc de lui faire croire au succès, et c’est à quoi Maurice travailla en faisant parade (plus peut-être qu’il n’en était sûr) de son crédit à la cour. — « Je suis à même, écrit-il à son frère, de savoir l’intrinsèque de la cour de France, et je ne laisse pas que d’y avoir quelques liaisons… Je prends la liberté d’envoyer une lettre que m’a adressée ces jours derniers Mme de Pompadour, et qui pourra faire juger à Votre Majesté que je ne suis pas mal dans les petits cabinets[1]. »

La preuve était bonne, en effet, car la lettre était, en réalité, bien qu’à mots couverts, un remercîment pour un service d’une nature très délicate que le maréchal venait de rendre à la marquise, et qui devait lui aller au cœur. Après les premiers jours de deuil passés, le roi voulait absolument retourner à l’armée, et c’est ce que, à tout prix, la marquise voulait empêcher ; elle ne vivait plus dès qu’elle savait le roi dans un lieu où elle ne pouvait pas le suivre et dans une compagnie où il n’entendait plus parler d’elle. Interrogé directement, le maréchal, qui ne tenait pas plus que de raison à une auguste présence (au fond, toujours embarrassante), avait eu la complaisance d’affirmer que, la campagne devant se terminer sans aucune action d’éclat, le déplacement du roi ne serait pas motivé, et, en définitive, Louis XV ne bougeait pas. — « Que vous seriez ingrat, mon cher, si vous ne m’aimiez pas, écrivait la favorite reconnaissante, car vous savez que je vous aime beaucoup. Je crois ce que vous me dites comme l’Evangile, et, dans cette croyance, j’espère qu’il n’y aura pas de bataille et que notre adorable maître ne perdra pas l’occasion d’augmenter sa gloire. — Il me semble qu’il fait assez ce que vous voulez… Je mets toute ma confiance en vous, mon cher maréchal ; en faisant la guerre comme vous la faites, je me flatte d’une longue et bonne paix[2]. »

Aussi, dès qu’Auguste, tranquillisé et séduit à la fois, eut envoyé l’autorisation d’agir par les grands et les petits cabinets, ce fut à cette porte, qui donnait l’entrée du cœur du roi, que Maurice alla frapper tout droit. Nous n’avons malheureusement pas la lettre où il plaida la cause de sa nièce. Mais, par la réponse, on peut voir qu’elle fut gagnée. La marquise avait, à la vérité, pour obliger le maréchal, une autre raison encore que la reconnaissance. Attentive à se ménager des alliés dans tous les camps, elle venait de faire une concession très grave aux instances de la princesse

  1. Maurice à Auguste III, 8 septembre 1746. Vitzthum, p. 25.
  2. Mme de Pompadour à Maurice. Vitzthum, p. 37.