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sont peu valides ou chargés de famille. Le fisc, pour ne pas faire d’eux des mendians et des vagabonds, évite de les exproprier, de mettre en vente leur chaumière en pisé, leur jardinet alimentaire, leur carré de pommes de terre ou de choux ; il leur donne quittance gratis, ou du moins il s’abstient de les poursuivre[1]. De cette façon, quoique propriétaire, le paysan pauvre s’exempte encore ou est exempté de sa dette locale. A vrai dire, il n’en acquitte rien ou presque rien, sinon par ses prestations en argent ou en nature, c’est-à-dire par trois journées de travail sur ses chemins vicinaux, lesquelles, s’il les fournit en nature, ne valent que 50 sous[2]. Ajoutez-y sa part, si petite et souvent nulle, dans les centimes additionnels de la contribution des portes et fenêtres, de la contribution mobilière et de la contribution foncière, en tout A ou 5 francs par an. Tel est le versement par lequel, dans les villages, le contribuable pauvre ou demi-pauvre se libère envers son département et sa commune. — Dans les villes, grâce à l’octroi, il semble payer davantage. Mais, d’abord, sur 36,000 communes, il n’y en a que 1,525 où l’octroi[3] soit établi ; et à l’origine, sous le Directoire et le Consulat, on ne l’a rétabli que pour lui, à son profit, au profit de l’assistance publique, pour défrayer les hospices et les hôpitaux ruinés par la confiscation révolutionnaire. C’était alors « un octroi de bienfaisance, » de fait aussi bien que de nom, pareil à la surtaxe des places et billets de théâtre instituée en même temps et pour le même objet ; encore aujourd’hui, il garde l’empreinte de son institution première. Jamais il ne grève la denrée indispensable au pauvre, le pain, ni les matériaux du pain, grains ou farines, ni le lait, les fruits, les légumes, la morue, et il ne grève que très légèrement la viande de boucherie. Même sur les boissons, où il est le plus lourd, il reste, comme tout impôt indirect, à peu près proportionnel et demi-facultatif. En effet, il n’est qu’une crue de l’impôt sur les boissons, une crue de tant de centimes additionnels par franc sur le montant d’un impôt indirect, aussi justifiable que cet impôt lui-même, aussi tolérable et par les mêmes motifs[4]. Car, plus le contribuable est sobre, moins il est atteint. A Paris, où la crue est excessive et ajoute sur chaque litre de vin 12 centimes pour la ville aux 6 centimes perçus par l’État, s’il ne boit par jour qu’un litre de vin, il verse, de ce chef, dans

  1. Paul Leroy-Beaulieu, Essai sur la répartition des richesses, p. 174 et suiv. — En 1851, on évaluait à 7,800,000 le nombre des propriétaires en France ; sur ces 7,800,000, 3 millions étaient dispensés de l’impôt foncier, comme indigène, et leurs cotes étaient considérées comme irrécouvrables.
  2. Paul Leroy-Beaulieu. Traité de la science des finances, p. 721.
  3. De Foville, p. 419. (En 1889.)
  4. Cf. le Régime moderne, sur les caractères de l’impôt indirect (voir la Revue du 1er avril 1889, p. 525).