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hors de service, parce qu’il ne s’adaptait ni aux corps très grands ni aux corps très petits. Mais, un fois expédié de Paris, il a fallu l’endosser, vivre dedans ; on y a vécu tant bien que mal, comme on a pu, chacun dans le sien, faute d’un autre mieux ajusté : de là, pour chacun, des attitudes étranges, et, à la longue, des effets d’ensemble que ni les gouvernans ni les gouvernés n’avaient prévus.


XII

Considérons ces effets tour à tour dans les petites communes et dans les grandes ; très visibles et distincts aux deux extrémités de l’échelle, ils se confondent l’un dans l’autre aux degrés moyens, parce qu’ils s’y combinent, mais en des proportions différentes, selon que la commune, placée plus ou moins haut dans l’échelle, se rapproche davantage du village ou de la cité. — Sur le territoire trop divisé depuis 1789 et, pour ainsi dire, émietté par la Constituante, les petites communes sont en nombre énorme ; parmi les 36,000, plus de 27,000 ont moins de 1,000 habitans, et parmi celles-ci plus de 16,000 ont moins de 500 habitans[1]. Quiconque a voyagé en France et a vécu à la campagne voit à l’instant de quels hommes se composent des groupes si purement ruraux ; il n’a qu’à se rappeler les physionomies et les attitudes, pour savoir combien dans ces cerveaux incultes, engourdis par la routine du travail manuel, et comprimés par les préoccupations du besoin physique, les ouvertures de l’esprit sont étroites et obstruées, combien, en matière de faits, l’information y est courte, combien, en matière d’idées, l’acquisition y est lente, quelle méfiance héréditaire sépare la masse illettrée de la classe lettrée, quelle muraille presque infranchissable la différence de l’éducation, des mœurs et des manières interpose en France entre l’habit et la blouse, pourquoi, s’il y a dans la commune quelques gens instruits et quelques propriétaires notables, le suffrage universel s’écarte d’eux, ou du moins ne vient pas les chercher pour les mettre au conseil municipal ou à la mairie. — Avant 1830, quand le préfet nommait les conseillers municipaux et le maire, ils y étaient toujours ; sous la monarchie de juillet et le suffrage restreint, ils y étaient encore, du moins pour la plupart ; sous le second Empire, quel que fût le conseil municipal élu, le maire, que le préfet nommait à discrétion

  1. De Foville, la France économique, p. 16. (Recensement de 1881.) — Nombre des communes, 36,097 ; nombre des communes au-dessous de 1,000 habitans, 27,503 : nombre des communes au-dessous de 500 habitans, 16,870. — Les remarques ci-contre s’appliquent en partie aux deux catégories suivantes : 1° communes de 1,000 à 1,500 habitans, 2,982 ; 2° communes de 1,500 à 2,000 habitans, 1,917. — Toutes les communes au-dessous de 2,000 habitans sont comptées comme rurales dans la statistique de la population et leur nombre est de 33,402.