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d’oracles, etc. Dans les prytanées des villes, on trouvait des listes de rois et de magistrats, des traités, des lois, des actes publics de toute sorte ; parfois même aussi des oracles (en vers et en prose) et des interprétations d’oracles, comme les célèbres rhetrai de Delphes, qui remontaient, disait-on, au temps de Lycurgue, et qui, réglant la constitution Spartiate, étaient précieusement gardées dans les archives de la cité. L’habitude de noter les faits de ce genre et de les recueillir dans les archives était donc fort ancienne, bien que la présence de documens apocryphes donnât souvent à ces archives un air d’antiquité auquel elles n’avaient pas droit. Mais tout cela n’est pas de la littérature. Tant que la prose ne sert qu’à rédiger un document ou à noter un fait au moment même où il se produit, elle n’est qu’une sorte d’outil nécessaire à la vie de chaque jour. Ce qui constitue la littérature, c’est de répondre plutôt à une curiosité spéculative de l’esprit qu’à un besoin pratique et immédiat. La littérature historique ne commence qu’au moment où le dépôt d’archives suscite le livre d’histoire.

L’apparition de cette chose nouvelle, le livre d’histoire, suppose une transformation profonde des esprits. Jusque-là, en dehors des besoins immédiats de la vie pratique, l’esprit n’avait de curiosité pour les faits que s’ils touchaient la sensibilité ou l’imagination. Désormais, la curiosité purement intellectuelle est éveillée ; on distingue, au moins en principe, le vrai du beau ; une chose vraie (ou considérée comme vraie) excite l’intérêt par cela seul qu’on la croit telle, quelle que soit d’ailleurs la part de beauté ou d’émotion qu’elle comporte. Quand cette manière de penser vient à se produire, l’âge de la prose commence. Le rythme poétique est l’expression naturelle de la sensibilité émue ; l’allure irrégulière de la prose convient à une pensée qui cherche à se détacher du sentiment et qui veut recevoir l’image directe des choses sans l’adapter aux vibrations de sa propre sensibilité, à laquelle elle impose silence.

Les premiers écrits historiques proprement dits apparaissent en Grèce vers le milieu du VIe siècle avant Jésus-Christ, une centaine d’années, par conséquent, avant le livre d’Hérodote. Ceux qui les composèrent furent appelés logographes, c’est-à-dire « faiseurs de récits en prose, » par opposition aux poètes épiques, qui étaient des faiseurs de récits en vers. Ce nom dit bien la vraie nature de leurs œuvres : ils ne sont pas encore des historiens, c’est-à-dire, selon le sens du mot grec à cette date, des chercheurs, des savans qui font une enquête ; ils se bornent à mettre en prose et à coordonner les récits des poètes, les documens écrits et les traditions orales. Strabon, qui pouvait lire encore la plupart de ces vieux récits, nous apprend que c’étaient presque des épopées en prose : ils gardaient la plupart des caractères de la poésie, au mètre près ;