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les dit comme par mégarde. C’est de l’histoire épique et pittoresque plutôt que de l’histoire « pragmatique, » selon le mot de Polybe.

La politique aussi est plutôt saisie dans ses manifestations extérieures et finales que dans ses préparations. Sur l’influence des constitutions, à laquelle Polybe attache tant de valeur, il a quelques mots à peine çà et là. La discussion des seigneurs perses sur les trois formes de gouvernement, avant l’avènement de Darius, est un hors-d’œuvre qui ne tient à rien et qui n’explique rien ; c’est peut-être (on l’a supposé) un écho des discussions sophistiques contemporaines ; ce n’est pas une page d’histoire politique proprement dite. On ne rencontre pas davantage chez lui ces analyses pénétrantes de l’esprit des diverses cités grecques, ou ces déclarations générales mises dans la bouche d’un homme d’état marquant, qui donnent tant d’intérêt et de portée à certains discours de Thucydide. Hérodote n’a guère de ces vues d’ensemble et de haut sur les principes de la politique. En revanche, il la dessine d’un trait rapide et fin au moment même où elle agit. Thémistocle, Aristide, sont esquissés avec justesse, l’un dans son habileté peu scrupuleuse, l’autre dans son honnêteté incorruptible. Le tableau de la Grèce au moment où l’invasion de Xerxès se prépare, ces sentimens incertains, contradictoires, qui s’agitent dans les esprits, plus tard (à la veille de Salamine) les hésitations ou les arrière-pensées des peuples et des chefs, sont notés avec une sagacité clairvoyante, où il entre d’ailleurs plus d’observation morale immédiate que de véritable philosophie politique.

Hérodote a pourtant aussi sa philosophie de l’histoire ; il croit à l’existence d’une loi qui gouverne les événemens. Mais cette loi est toute religieuse : elle est plus morale que politique. C’est celle que Solon, Pindare, Eschyle, ont tant de fois exprimée : l’homme est misérable par nature ; la volonté des dieux exige qu’il reste dans-sa condition ; s’il cherche à s’élever au-dessus d’elle par l’orgueil et la violence, la « jalousie divine » l’atteint et le brise ; Hybrisr Koros et Até forment une trinité fatale ; la Némésis pèse sur l’homme. Dès le début de son livre, Hérodote fait allusion à ces révolutions surnaturelles de la destinée : son ton est grave, plein d’une mélancolie indulgente et religieuse :

Je parlerai des petites cités comme des grandes : ce qui était grand autrefois est souvent devenu petit ; ce qui est grand aujourd’hui a commencé par être faible ; aussi, connaissant les vicissitudes de la destinée humaine, je mentionnerai les unes comme les autres.

Voici, ailleurs, l’énoncé même de la loi :

La divinité frappe de sa foudre les êtres les plus grands et les