Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/203

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec une sonorité monotone et grave. Quand on lit un morceau de ce genre, on se rappelle le mot de Denys, et l’on songe à Homère ou à Solon. Voilà ce qu’on ne trouvait pas chez les logographes et ce qui fait qu’Hérodote est un grand écrivain. Mais, d’ordinaire, cette élévation dure peu : le souffle est court et peu soutenu ; l’imagination, facilement distraite (comme celle d’un enfant), vole d’un objet à l’autre, et la phrase, ainsi que la pensée, recommence à se dérouler librement, capricieuse et flottante.

Il est aisé de voir à quels emplois ce style se prête de préférence, et dans quelle mesure ; Il n’est pas oratoire. Hérodote, sans doute, a de nombreux discours dans son histoire, et quelques-uns sont justement regardés comme fort beaux ; mais la beauté en est plus poétique et lyrique que proprement oratoire, et c’est avec raison que les anciens nomment Thucydide comme l’historien qui sut le premier composer de vrais discours, de vraies démégories. L’éloquence vit surtout de dialectique et de passion. Or, Hérodote n’est ni passionné ni dialecticien. Il n’a pas cette rigueur qui décompose les idées, qui les enchaîne, qui construit de longs raisonnemens et qui tend à son but avec une persévérance inflexible, ni cette passion opiniâtre qui enflamme la dialectique de l’orateur. Ce sont là les qualités d’un art très mûr, très viril, très savant aussi ; car elles ne s’acquièrent que par la réflexion et l’exercice prolongé. Hérodote, qui a pu voir les premiers rhéteurs, n’a pas été leur disciple. Il n’a point fait sa rhétorique. C’est encore un poète, un conteur, à qui manque la rude discipline de l’école.

Son heureux génie trouvait dans les récits un emploi mieux approprié. Sans doute, si l’on demande avant tout à un récit historique la rigueur de la composition, la proportion exacte des parties, l’analyse profonde des causes, la suite rapide des effets, le pathétique sévère et dramatique qui résulte à la fois de la force des détails et du mouvement de l’ensemble, c’est à Thucydide qu’il faut s’adresser. De même qu’Hérodote ne sait pas construire une période, il ne sait pas toujours non plus subordonner, dans le tableau des faits, l’accessoire à l’essentiel, ou négliger de parti-pris ce qui n’est que divertissant. Il se laisse mener par sa curiosité, vive, mobile, capricieuse, souvent plus semblable à celle d’un enfant qu’à celle d’un philosophe ou d’un savant. Il n’a pas encore l’art des simplifications résolues. Mais si l’on consent à se laisser charmer par des qualités plus aimables et moins puissantes, on trouvera chez Hérodote une foule de narrations qui sont des chefs-d’œuvre : et d’abord, tous ces petits récits courts, anecdotiques et romanesques dont son livre fourmille. Qu’on prenne l’un d’eux au hasard ; par exemple, ce joli conte par lequel Hérodote prétend expliquer pourquoi Darius voulut soumettre les