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étaient taxés de socialisme pour avoir fait concéder aux ouvriers le droit de coalition ; où M. le Comte de Paris s’entendait traiter d’utopiste pour avoir révélé à la légèreté française les trades-unions de l’Angleterre. Nous avons fait du chemin, durant ces vingt-cinq ans, et le mérite ou la faute en revient, pour une bonne part, aux catholiques. M. de Mun a le droit de leur en faire gloire ; — puissent-ils avoir toujours de quoi en rester fiers !

Il y a quelques mois, en juin 1891, l’éloquent fondateur des cercles catholiques d’ouvriers célébrait, à sa façon, le centenaire de l’abolition des anciennes corporations, en buvant aux syndicats et à la résurrection des corps de métiers. Le hardi gentilhomme avait raison : c’est une belle revanche sur Turgot et sur la Révolution que doivent à la troisième république l’Église et l’ancien régime. Et, pour notre part, nous l’avouons, si peu de regrets que nous aient laissés les jurandes et les maîtrises du vieux temps, nous eussions volontiers levé notre verre au rétablissement du droit d’association ; partisan de toutes les libertés, nous ne nous croyons le droit d’en rejeter aucune. Loin de là, s’il est une chose que nous ayons peine à pardonner à la Révolution, c’est d’avoir, dans les domaines les plus divers, supprimé tous les groupes historiques ou naturels, toutes les associations, tous « les corps, » c’est-à-dire tout ce qui, en France, avait vie spontanée ; — et si la destruction en était nécessaire, la plupart de ces anciens « corps » ne répondant plus à leur objet, — c’est, après avoir aboli toutes les corporations, les compagnies, les communautés, plus ou moins vieillies et usées, de la France ancienne, d’avoir tout fait pour empêcher les organes sociaux de repousser et de se régénérer, d’avoir proscrit tout agrégat particulier et tout organisme vivant, de n’avoir considéré partout que l’individu isolé, en s’ingéniant à le maintenir dans son isolement.

C’est là, pour nous, comme pour M. Taine, la faute capitale de la Révolution, celle qui explique les autres. Par là seul, la Révolution a placé la France contemporaine dans un état d’infériorité manifeste vis-à-vis des nations étrangères, vis-à-vis de toutes celles du moins qui n’ont pas eu la folie d’imiter son exemple. Par là, nous nous sentons déplorablement au-dessous des peuples anglo-saxons, au-dessous des Anglais, au-dessous des Américains, au-dessous des jeunes colonies britanniques. La défiance invétérée de la France moderne pour tous les corps vivans, pour tout ce qui a une vie collective indépendante de l’État, et, par suite, la mise en suspicion ou en tutelle de tout ce qui tend à s’associer, l’interdiction ou la raréfaction systématique des fondations, sans lesquelles rien de grand et de durable ne peut vivre ou prospérer, l’horreur aveugle et comme superstitieuse de ce spectre d’ancien régime qu’on nomme