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d’olivier qu’ils se présentent à nous, et ce n’est point encore la paix qu’on se vante de préparer à la Bourse du travail. Les étendards sous lesquels ils se rassemblent, ce ne sont pas les mystiques vexilla Regis et le drapeau de la croix arborés sur le Calvaire. Leur étendard de prédilection, nous le connaissons ; c’est celui que, sur nos places publiques, ils portent encore enroulé dans un étui en attendant l’heure de le déployer, de nouveau, et de le faire flotter au vent sur les monumens de nos capitales ; c’est le drapeau rouge, et, pour eux, le rouge, l’écarlate qui semble teint dans le sang, n’est pas la couleur de l’amour qui est plus fort que la mort, ni l’emblème de la charité qui sait donner sa vie, mais la couleur de la haine et l’emblème de la lutte des classes, qui ne reculera pas devant un fleuve de sang. Ces syndicats à peine nés d’hier, les chefs qui les mènent ne se font pas prier pour le confesser, ce qu’ils nous apportent dans leurs statuts, c’est la guerre et non la paix ; et cela, justement parce qu’il leur manque la seule chose qui leur puisse inspirer l’amour de la paix : l’esprit chrétien. C’est bien pour livrer bataille au capital et pour réduire les patrons à merci, que nous voyons tous les corps de métiers se ranger sous les bannières des syndicats, lever des subsides sur tous les compagnons, enrégimenter partout en armées innombrables les ouvriers des deux sexes, et comme autrefois, dans nos guerres de religion, huguenots et ligueurs, chercher des alliés par-delà nos frontières, jusque chez les ennemis de la France.


II

C’est une grande lutte qui se prépare autour de nous, rude et longue ; — je doute que nos enfans en voient la fin. La guerre sociale est déclarée, et elle durera plusieurs générations. Ce ne sera pas une guerre de trente ans, bornée à notre France et à notre vieille Europe germano-latine, mais bien une guerre de cent ans, et plus peut-être, qui mettra en feu les deux mondes à la fois. Elle sera longue et acharnée ; elle aura, elle aussi, ses phases diverses, chaque parti ayant ses alternatives de victoire et de défaite, et nous ne savons ni quel en sera le dénoûment lointain, ni quelles en seront les péripéties prochaines. Ayons le courage de nous l’avouer, notre Europe, ou mieux, notre civilisation occidentale n’a jamais été plus loin de la paix sociale, de la paix véritable, celle des cœurs et des âmes. L’idyllique Eldorado où nos arrière-grands-pères voyaient déjà en songe entrer l’humanité, recule sans cesse devant nous ; et ce n’est plus seulement les armemens de la triple alliance et la muette douleur de l’Alsace-Lorraine qui nous font douter du règne prochain de la fraternité. Dieu me garde de paraître trop