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en corporations obligatoires ; — et vous verrez la liberté d’association, de nouveau compromise, redevenir suspecte ; et il ne faudra peut-être pas quinze ans pour que des assemblées françaises suppriment, une troisième fois, les associations professionnelles, et nous ramènent, à la joie de tous, patrons et ouvriers, aux décrets de la Constituante et aux édits de Turgot. C’est à quoi doivent prendre garde les amis de l’ouvrier.

Que nous ne soyons pas pleinement rassurés devant les procédés des syndicats, ce n’est pas au Vatican qu’on s’en montrera surpris. Le saint-siège, tout le premier, s’inquiète de leurs tendances antisociales. Le pape Léon XIII ne le cache point. Comme nous, il redoute leur despotisme ; comme nous, il flétrit leurs violences et leur tactique inhumaine. Tout en se félicitant de la renaissance des associations ouvrières, Léon XIII déplore hautement que « la plupart obéissent à un mot d’ordre également hostile au nom chrétien et à la sécurité des États[1]. » Il va jusqu’à engager les ouvriers chrétiens « à ne pas donner leur noms à des sociétés dont la religion a tout à craindre ; » il les pousse à fonder entre eux des groupes indépendans, « à joindre leurs forces pour se délivrer hardiment d’une oppression injuste et intolérable ; quo se animose queant ab illa injusta ac non ferenda oppressione redimere. » — Pesez bien ces paroles ; il en ressort une chose importante ; c’est que le pape n’admet point de syndicats obligatoires. Loin de là, Léon XIII signale la tyrannie des syndicats vis-à-vis de l’ouvrier qui ne veut pas supporter leur joug ; Léon XIII se plaint de ce qu’ils prétendent « accaparer toutes les entreprises et condamner à la misère les travailleurs qui refusent de s’affilier à eux[2]. » Ou cela n’a pas de sens, ou cela est la revendication de la liberté du travail, partant la condamnation du monopole réclamé par les syndicats. Car de quelle façon les syndicats réduisent-ils l’ouvrier récalcitrant à la misère, si ce n’est en lui interdisant le travail ? S’il demande la liberté des associations professionnelles, s’il en fait, à bon droit, la clé de la réforme sociale, le saint-siège ne s’est, nulle part, prononcé contre la liberté du travail. Tout au contraire, le pape en enjoint partout le respect ; s’il permet aux ouvriers de faire grève, — ce qui est manifestement de leur droit strict, — il défend aux grévistes d’employer la contrainte, il leur recommande expressément de ne pas violer la liberté des travailleurs qui veulent travailler, ni la propriété des patrons qui ne veulent pas céder à la grève. Pour

  1. Opinio tamen est, multis confirmata rebus, prœesse ut plurimum occultiores auctores, eosdemque disciplinam adhibere non christiano nomini, non saluti civitatum consentaneam.
  2. Occupataque efficienderum operum universitate, id agere ut qui secum con sociari recusarint, luere pœnas egestate cogantur.