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Saint-Maigrin se fait ouvrir la barricade et s’avance avec sa cavalerie, sans se soucier des coups de feu qu’on lui envoie des fenêtres. La rue de Charonne est vide ; mais on tire sur la gauche, on se bat dans la grande rue. Saint-Maigrin y court, se jette dans une traverse, et se trouve en présence d’un peloton de cavaliers qui le chargent. Enfin ! — Non, ce n’est pas Condé, c’est Tavannes. — Mais déjà Saint-Maigrin est par terre, ainsi que ses acolytes Du Fouilloux et Nantouillet, tués roide comme lui, et Mancini, frappé à mort. Quelques gendarmes seulement avaient suivi leur capitaine dans la traverse ; le gros descendait la rue de Charonne, lorsque Condé débouche de la halle avec une partie de la réserve, et les charge comme il savait le faire. Tous ceux qui avaient passé la barricade sont ramenés pêle-mêle, bousculant leurs mousquetaires, fusillés par ceux de l’ennemi. La barricade est reprise, le carrefour dégagé. Les débris des Gardes et de La Marine s’arrêtent au-delà, dans quelques maisons où ils ne sont pas suivis. C’est à peine s’il reste assez de gendarmes et de chevau-légers pour ramener les blessés et les chevaux des morts. La colonne de droite de l’armée royale était anéantie.

Condé ne s’attarde pas dans la rue de Charonne. Il laisse à « l’Altesse » la garde du carrefour reconquis de la Croix-Faubin, et fait relever par « Languedoc » le régiment de « Valois, » qu’il conduit au secours des troupes très chaudement engagées le long du chemin de Vincennes.

Aussitôt Saint-Maigrin parti, Turenne, prenant avec lui son régiment, les Gardes suisses et quelques escadrons, s’était dirigé sur le grand chemin. Il dut faire un détour pour gagner le site de l’ancienne barrière du Trône, et sa droite était depuis longtemps aux prises quand il commença son attaque centrale. Faute de canons et d’outils, c’est à coups d’hommes que le maréchal peut soutenir le combat et gagner du terrain. Une première barricade est prise, quelques maisons occupées. Les troupes opposées semblent fléchir ; Clinchamp, leur chef, est hors de combat. Tavannes, qui n’a encore aucun ennemi sur les bras, laisse à Lanques[1] le soin d’organiser la défense dans la rue de Charenton et vient prendre la place de son camarade blessé. Comme il approche, il voit survenir par les derrières un gros de cavaliers ; c’était Saint-Maigrin et sa bande ; nous savons ce qui en advint. Ignorant le malheur de son lieutenant-général, Turenne veut pousser son

  1. Clériadus de Choiseul, marquis de Lanques, mestre-de-camp du régiment de cavalerie de Condé depuis 1645, avait accompagné M. le Prince dans ses premières campagnes ; sa belle conduite à Lena lui avait valu le grade de maréchal-de-camp. Il quitta Condé au mois d’août 1652 et ne servit plus.