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l’artiste. Saint-Etienne, au contraire, a été envahi par le génie de l’artiste ; toutes les règles ont été violées, et les rêveries bizarres, sauvages et magnifiques de l’imagination ont été jetées à pleines mains sur de grandes murailles sévères, ouvrage d’une autre génération qui jure à tout instant à côté des découpures sarrasines, et qui pourtant donne à l’ensemble un caractère de force imposante et de rudesse antique. Le tout, comme dit encore Hugo, a coûté bien des sueurs à toute une généalogie de serfs et rapporté bien des écus à toute une lignée de chanoines, pour donner maintenant bien de l’enthousiasme à un très petit nombre d’amateurs et de curieux. Si vous tenez à présent à savoir de quel genre d’architecture elle vient, je vous dirai que l’intérieur, la nef et la plus basse des deux tours sont purement gothiques, et que les portiques, la grande tour et les deux jolies portes latérales découpées en trèfle sont ovales, ou mauresques, ou sarrasines : c’est tout un. L’église souterraine n’est pas moins admirable que le reste. Il y a des statues fort belles et fort précieuses ; la scène qui représente le cadavre de Jésus entouré de bonnes femmes et de bonshommes en pierre peinte est si vivante, si fantastique, si mystérieusement éclairée qu’il y a de quoi rendre fou de terreur un pauvre romantique qu’on renfermerait là sans le prévenir. L’escalier en vis, qui monte d’un seul jet au haut de la grande tour est encore un chef-d’œuvre de solidité et de hardiesse que n’offre point Notre-Dame. Mais les doubles arcs-boutans de Saint-Étienne ont moins d’audace que s’ils étaient simples : j’aime mieux ceux de Paris. » Les nobles, qui ne voulaient plus de manoirs d’aspect revêche et massif, faisaient, de leur côté, élever d’élégans castels entre lesquels il faut citer le château de Meillant et celui de Louis d’Ars, aux portes de La Châtre. Ce dernier appartint à l’une des plus grandes familles du Berry ; Louis d’Ars eut la gloire d’être l’ami et le compagnon de Bayard. A propos de ce grand nom qui fit dire de celui qui le porta : « jamais ne fut gentilhomme de plus noble nature, » s’éteignit, à cette époque, en la personne d’André de Chauvigny, le dernier rejeton d’une forte et grande lignée. On se souvient que c’est dans cette illustre maison qu’était venu aboutir l’héritage de Denise de Déols ; il fut divisé entre deux grandes familles, celles de Maillé et d’Aumont. A la suite de procès interminables, le tout fut vendu en 1611 au prince de Condé, et c’est ce qui fit que son fils, le grand Condé, put faire du Berry le refuge des membres remuans de la Fronde.

Ce fut aussi vers cette époque que, non loin des rives de l’Indre, furent jetés les premiers fondemens du château de Nohant, immortalisé par le long séjour qu’y fit George Sand. A ce