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je n’ai vu sur les planches une pareille architecture. Le décor est ici à la hauteur du rêve ; la vision du maître est égalée. On se sent dans le tabernacle où s’adore l’Immuable. Tout respire la tradition ; c’est l’image de l’absolu. Une puissante unité règne dans l’édifice ; la figure circulaire s’y manifeste partout ; elle en est le leilmotiv ; chaque ligne lui obéit. Les colonnades s’y conforment ; les tables saintes aussi ; le dôme et le pied des murailles suivent le même mouvement. Ces courbes harmonieuses ont pour axe une verticale qui passe par l’autel et le centre de la coupole, dont la hauteur semble se perdre dans le domaine de l’azur. Là-bas, de chaque côté, dans les lointains de l’abside, une ouverture donne accès sur des lieux fermés au regard. On dirait la porte inquiétante qui s’ouvre dans les monastères sur la blanche longueur des couloirs où les profanes n’entrent pas et par laquelle les religieux arrivent à l’église, lorsqu’ils interrompent l’extase de leur oraison solitaire pour venir prier ensemble à l’heure du rendez-vous. »

Le fait est que cette coupole, ces pleins cintres, ces courbes du décor et du double cortège, tout cela répond par je ne sais quel secret accord aux courbes des mélodies, aux sonneries moelleuses et pour ainsi dire arrondies des cloches. Ce n’est pas tout : la musique est parfois ici d’une telle envergure, qu’il lui faut de l’espace en largeur pour se déployer ; en hauteur, pour prendre son vol. Enfin la disposition des voix par étages peut seule donner l’illusion d’un édifice qui vit et qui vibre tout entier, où, depuis le pavé jusqu’aux frises, il n’est pas un arceau, pas une colonne, pas un bloc de pierre qui ne chante et ne prie.

Wagner, pour nous émouvoir, a compté encore sur d’autres artifices, ou, si on veut, d’autres prestiges : sur l’obscurité de la salle, qui ajoute au mystère et au mysticisme du tableau ; sur la correspondance étroite entre la musique et les mouvemens, les gestes et la physionomie des acteurs, sur la majesté de la procession religieuse et guerrière, sur le manteau rouge des chevaliers ; que sais-je ? sur l’angélique visage et la démarche modeste d’un enfant qui porte le calice, sur le sanglant éclat du cristal miraculeux. Pourrons-nous sentir la mâle douceur de cette marche, si nous ne faisons que l’entendre, et deviner pourquoi l’orchestre a crié de douleur, si nous ne voyons Amfortas, pâle et gisant sur une litière, porter à sa poitrine toujours saignante ses mains désormais indignes de consacrer le corps du Sauveur ?

Supprimer le spectacle matériel, c’est nous retirer toute la vision poétique et philosophique du sujet. Il est si vaste et si complexe, que la représentation sonore ne suffit pas à le rendre en son entier. Le répertoire lyrique, avant Parsifal, comptait déjà plus d’un grand