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Bach, osa mettre en musique. Qui l’oserait, maintenant, après lui ? Bach les avait notées avec respect, mais avec froideur aussi. Wagner les a reprises avec un ineffable amour. Murmurées par des bouches invisibles, deux fois elles passent sur le cénacle noyé d’ombre, comme un frisson de tendresse et de mélancolie. Ainsi dut frissonner Jésus, quand il nous fit, de lui-même, le legs mystérieux. À chaque verset des voix, l’orchestre répond et confirme le testament sublime. Les cloches sonnent au loin, très douces ; puis des cantiques d’enfans se répandent sous la coupole. Les uns flottent à mi-hauteur, les autres tout en haut ; ainsi des cercles d’harmonie et de prière se superposent de la terre au ciel…

Mais je le vois, et ceux qui furent au Conservatoire il y a quelques semaines le voient également sans doute, c’est de Bayreuth que je parle et que je me souviens. La tentative de la Société des concerts était louable, mais ne pouvait réussir. On a pu juger de Parsifal, l’autre dimanche, un peu comme un aveugle jugerait de l’harmonie de la nature, en écoutant, sans les voir, les ruisseaux, les cascades et les arbres où chante le vent. Si grand que soit dans Parsifal le musicien de Bayreuth, il n’est que le collaborateur, le serviteur peut-être de l’architecte, du peintre, et j’ajouterai : du poète et du croyant. Wagner a toujours prétendu fondre en une seule toutes nos sensations et toutes nos jouissances ; pour décider s’il y a ou non réussi, n’est-il pas équitable de lui donner sur nous-mêmes toute la prise qu’il demande ? Le théâtre seul peut nous livrer à sa merci entière. Maintenant qu’un tel art soit un art d’exception, je n’y contredis pas ; d’exception ou de miracle. Allez lui demander là-bas, dans le sanctuaire privilégié de ses grâces, les passagères délices de l’extase ; mais craignez, au retour, qu’il ne vous refuse le bienfait plus humble, mais plus durable de la foi !

À de telles vicissitudes d’impression, Mozart ne nous expose jamais. Qu’on joue les Noces de Figaro au théâtre ou au concert, avec paroles françaises, italiennes, ou sans paroles du tout, il n’importe ; de l’ensemble ou de chaque parcelle du chef-d’œuvre, la beauté se dégage invariable. Après toute la théologie et la littérature de Parsifal, il est temps peut-être, comme disait l’oracle à Socrate, de ne faire que de la musique. Laissons dormir en nous l’esprit de la science, l’esprit de l’angoisse et de la douleur, et chanter celui de la joie et de la lumière.

Dans les Noces de Figaro, ce qui nous a ravi l’autre soir (entre autres ravissemens), c’est de voir avec quelle grâce, quelle aisance, quelle impertinence adorable, le divin naturel de Mozart se rit de nos efforts, de nos intentions et prétentions, de nos théories et de nos systèmes. Oh ! le délicieux défi de l’art souriant à l’art morose, du