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choses : elle a promulgué sa déclaration des droits de l’homme non-seulement pour elle, mais pour l’univers, tenté de dérober le feu du ciel et de renouveler la face de la terre, remporté sur des champs de bataille très divers les plus éclatantes victoires ; mais, en subjuguant ou en éblouissant le monde, elle n’a pas su lui donner toujours l’exemple de la sagesse. Nous avons changé bien légèrement nos lois fondamentales ! Nous nous sommes épris quelquefois d’idoles étranges et nous avons mis trop souvent un excès d’ardeur à renverser l’édifice que nous avions bâti la veille ! Les Belges ont cru devoir ne nous ressembler que par nos bons côtés, et prouvé par là même la fermeté, la sagacité de leur esprit politique. Résistant à toutes les tentations et fermant leurs oreilles au chant des sirènes, ils ont veillé nuit et jour sur leur constitution : ils l’ont aimée, respectée ; ils l’aiment et la respectent encore. C’est dire qu’ils n’y sauraient toucher à la légère et sans une anxiété patriotique. Par quel enchaînement de faits et d’idées se trouvent-ils donc conduits à la réviser ?

C’est que l’humanité ne se repose pas, qu’aucune de ses œuvres n’est éternelle et qu’il existe dans la constitution belge un article 47 ainsi conçu : « La chambre des représentans se compose des députés élus directement par les citoyens payant le cens déterminé par la loi électorale, lequel ne peut excéder 100 florins d’impôt direct ni être au-dessous de 20 florins. » Dès lors, en décidant que, pour participer aux élections législatives, il fallait verser au trésor de l’Etat en contributions directes, patentes comprises, la somme de 42 fr. 32, les chambres belges réduites à l’exercice du pouvoir législatif proprement dit ont fait tout ce qu’elles pouvaient faire. Il ne leur était loisible ni de supprimer ni même d’abaisser ce cens électoral sans empiéter sur les attributions du pouvoir constituant. La chambre des représentans fut donc saisie trois fois, en novembre 1870, en 1883, en 1887, par plusieurs de ses membres, de projets qui tendaient à la révision de l’article 47. La question fut ajournée trois fois et le régime qui maintient un corps de 134,000 électeurs « généraux » dans un pays de plus de six millions d’habitans subsiste encore. Peut-on ajourner la réforme ? Presque personne ne le croit en Belgique et nous ne le pensons pas davantage.

Nous n’avons oublié rien de ce qu’on a dit en France, dans la première partie de ce siècle, en faveur du cens électoral. Aux yeux des doctrinaires, nous le savons, le censitaire a d’abord représenté « tout ce que la multitude avait d’intérêts légitimes » et « plus fidèlement qu’elle n’eût pu le faire elle-même. » Mais le plus illustre