Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 111.djvu/122

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cette proposition nous semble à la fois large et prudente. D’une part, elle écarte le vote général par tête ; mais une réforme aussi radicale serait au moins prématurée. L’exemple de la France n’est pas décisif : son histoire même suffit à prouver que la démocratie pure est sujette aux vertiges, tout au moins qu’il ne faut pas brûler les étapes, et qu’on ne saurait, sans exposer un peuple à de graves mécomptes, le précipiter dans le suffrage universel. On ne saurait d’ailleurs oublier que, même dans la grande république américaine, la constitution fédérale ayant permis à tous les États particuliers de déterminer eux-mêmes les conditions de l’électorat de leurs propres citoyens (même, pour les élections d’une nature fédérale), plusieurs d’entre eux, tels que le Connecticut, le Massachusetts, la Floride, le Missouri, soumettent à diverses restrictions le droit à l’électorat. D’autre part, la proposition rompt avec le régime censitaire, que l’opinion publique bat en brèche de toutes parts ; sans anéantir toutes les individualités et tous les intérêts devant la souveraineté populaire, elle introduit la plus grande somme d’égalité possible dans le gouvernement représentatif et fait à la démocratie la plus large part.

Nous arrivons au referendum. Aussitôt après avoir exposé les vues du gouvernement sur l’extension du droit électoral, le ministre des finances poursuivait en ces termes : « On ne peut se livrer à l’étude de la réorganisation du pouvoir législatif sans se préoccuper également du pouvoir royal, et l’article 131 porte d’ailleurs que les chambres nouvelles ne peuvent statuer sur les points soumis à la révision que d’accord avec le roi. Le gouvernement estime qu’il conviendrait d’investir le roi du droit de se mettre directement en rapport avec le corps électoral pour prendre son avis soit sur une question de principe, non actuellement soumise à la législature, soit à propos d’une loi votée, mais non encore promulguée. » La même proposition fut développée dans une déclaration lue à la chambre des représentans le 2 février 1892 : « Il conviendrait d’attribuer au roi le droit de se mettre directement en rapport avec le corps électoral pour lui demander son avis. Rien, semble-t-il, de plus conforme aux véritables bases du régime représentatif. Rien aussi de plus propre à mettre le pouvoir royal mieux à même d’exercer en certains cas une action modératrice. Une nation de quelque étendue ne peut ni légiférer ni s’administrer directement, et dès lors la délégation des pouvoirs s’impose. Mais c’est toujours de la nation qu’ils émanent et c’est consacrer ce principe fondamental que de permettre qu’elle puisse être consultée. » Aux yeux du gouvernement belge, l’extension du suffrage populaire et l’extension de la prérogative royale sont deux propositions connexes. Qui peut pressentir, en effet, les conséquences de