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la première réforme ? Quelles seront les aptitudes de ce corps électoral quintuplé ? Quels mandataires choisira-t-il, non pas seulement demain, mais après-demain ? Verra-t-on s’y développer un sentiment encore plus élevé de la dignité nationale, un respect plus profond des institutions fondamentales ? Va-t-il être, au contraire, dominé par la passion effrénée de l’égalité ? Nommera-t-il d’un cœur léger des candidats qui le caresseront et dont il désavouerait les votes ? C’est le secret de l’avenir et, quoi qu’on puisse espérer de la nouvelle législation électorale, on conçoit que le gouvernement, avant de faire « le saut dans l’inconnu, » songe à prendre quelques précautions, particulièrement à fortifier l’action modératrice de la royauté.

Mais ce n’est pas l’avis de tout le monde, et M. Beernaert a constaté dans un exposé de motifs complémentaire (11 février 1892) que l’introduction du referendum royal soulevait « des contradictions nombreuses. » Si nous en croyons les articles de quelques journaux et le compte-rendu de quelques séances, elles se produisent même sous une forme assez passionnée. La question est grave, délicate, intéressante et, nous le comprenons aisément, de nature à passionner les hommes d’Etat belges. Elle est cependant de celles qu’on ne peut bien traiter ni bien résoudre sans un peu de calme et de sang-froid. Des combattans qui descendent dans la lice ne se rendent pas toujours une exacte justice, et l’on n’est jamais mieux placé pour juger les coups que si l’on n’est exposé ni à les donner ni à les recevoir. Or les jouteurs de l’un et de l’autre camp sont assurément animés d’un égal amour du bien public, d’un égal dévoûment à la nation et à la monarchie belges ; mais ils nous paraissent en outre, à nous qui jugeons d’un peu plus loin, peut-être par là même d’un peu plus haut, défendre deux thèses plausibles. Il serait puéril, il nous paraîtrait ridicule d’écarter l’une ou l’autre par une fin de non-recevoir, et c’est pourquoi nous allons d’abord exposer avec toute l’ampleur possible la doctrine des opposans. Ceux-ci, dont quelques-uns brillent au premier rang parmi les hommes d’État et les publicistes belges, accourent des quatre points cardinaux : les uns appartiennent au parti libéral ; les autres représentent la fraction la plus ardente du parti catholique.


II

Ils remarquent d’abord qu’on n’a jamais proposé d’introduire le referendum dans une monarchie constitutionnelle.